Par le sang versé
bu, ni même vu du Champagne.
« J’avais oublié que ça existait. J’ai l’impression de rêver, s’extasie Bugat.
– D’où la sors-tu ?
– Dédée, la pute que j’ai montée hier soir, elle tient ça d’un micheton qui est négociant en pinard à Bien-Hoa.
– Elle te l’a vendue ?
– Tu m’as pas regardé, non ? Elle m’en a fait cadeau, et il y en a d’autres à ma disposition quand on revient. Vendu ? T’es timbré ma parole. Le jour où tu me verras raquer une pute est pas arrivé, crois-moi !
– T’es tout de même quelqu’un ! Tu t’amènes au claque, tu montes la seule Blanche, tu la baises, tu lui files pas un radis et tu rentres avec du champ. T’es quelqu’un, y a pas à dire ! »
Sensible à la flatterie, Bugat n’en poursuit pas moins son idée :
« Bon, c’est pas tout. De la camelote de cette classe, on va pas se la farcir tiédasse. On va la filer à la glacière et se la faire bien frappée sur le coup de midi dans les gogues.
– T’es fada, Marcel, y a pas de place dans la glacière, elle est bourrée de flacons de plasma jusqu’à la gueule.
– C’est toi qui as rien dans le chou, pauvre con. Il n’y a personne à l’infirmerie en ce moment. On enlève quatre ou cinq flacons de plasma, on les planque dans le coffre aux ustensiles, on glisse le champ sous les autres flacons, et ni vu ni connu. À midi quand le toubib et les infirmiers vont à la bouffe, on replace le plasma, et à nous le champ glacé, comme dans un bar de palace.
– Ça, pour une idée, c’est une idée. Il n’y a qu’un os, c’est que si on se fait coincer, Noack nous fout à chacun une balle de onze millimètres dans la tronche. Et ça fait mal !
– Très bien, tu te dégonfles. Je peux me passer de toi. Seulement, tu feras ballon.
– Ça va, Marcel, je marche. »
Ce n’est pas tellement par goût du Champagne qu’Hastarran se résout à devenir une fois de plus le complice de Bugat. C’est surtout pour ne pas l’entendre ricaner et se faire traiter de gonzesse durant des mois, peut-être des années.
À sept heures, comme prévu, le convoi s’ébranle. Il roule pendant deux heures sur la voie secondaire. Ensuite il doit re joindre l’axe principal et prendre la direction du sud. Ce programme est bouleversé vers neuf heures trente. La radio annonce l’attaque par les rebelles du poste de Tan-Yuan, à une dizaine de kilomètres au nord de la jonction ferroviaire de Cô O. Seuls des éléments disparates de milices amies, qui patrouillaient dans le secteur, ont pu se porter au secours du poste qui continue à lancer des appels désespérés. Le capitaine Raphanaud reçoit l’ordre de changer d’itinéraire et de se porter en renfort.
Le train trouve son point de débarquement vers onze heures trente, et les légionnaires entreprennent leur marche vers les assiégés avec la rapidité qu’ils ont depuis longtemps acquise dans ce genre d’opération.
Bugat et Hastarran font partie de la section de l’adjudant Parsianni. Ils sont en tête, mais ils ont eu le temps d’apercevoir derrière eux la scène qu’ils redoutaient. Du wagon-infirmerie, le médecin-capitaine est descendu, suivi de trois infirmiers et d’un légionnaire qui portent la glacière soutenue par des brancards. Hastarran prend peur :
« Il faut parler, Marcel, ça devient trop grave, chuchote-t-il à son ami.
– Ta gueule. C’est une promenade, laissons tomber, on s’en sortira. »
Une fois encore, Hastarran cède.
Vers deux heures le poste est atteint. Il a pu résister et lorsque les légionnaires arrivent, les viets ont décroché. La compagnie qui tenait Tan-Yuan a subi des pertes relativement faibles, une dizaine de morts, autant de blessés. Bugat et Hastarran respirent. Le poste possédait un réfrigérateur à pétrole et sa propre réserve de plasma. Les deux blessés pour lesquels une transfusion s’est montrée nécessaire ont été soignés sur place.
Le capitaine Raphanaud, lui, est inquiet, car il ne comprend pas le décrochage de l’ennemi. Il sait que dans ce secteur on a signalé la présence du fameux bataillon C de marche du Bo-Doï 81-82. C’est sans aucun doute l’un de ses éléments qui a attaqué Tan-Yuan. Le capitaine redoute une embuscade au retour. Il ne se trompe pas.
Peu avant cinq heures de l’après-midi, la colonne est violemment attaquée sur le chemin du retour par un tir de mortier et d’armes automatiques. Les
Weitere Kostenlose Bücher