Par le sang versé
transfusion ?
– Non, il en reste un flacon. »
Noack est sur le point de dire : « Dommage », mais il se ravise. Le dernier flacon de plasma est accroché à la branche d’arbre et la transfusion commence.
Bugat n’a pas perdu conscience un seul instant. Il trouve la force d’articuler, s’adressant au lieutenant qui s’est penché sur lui :
« Hastarran ? »
Noack ne répond pas, il se contente de hocher la tête. Bugat reste un moment silencieux, puis, de nouveau, il murmure :
« Le Champagne… »
Noack l’interrompt d’un geste. Inutile que le blessé s’épuise pour tenter d’expliquer ce qu’il a fait comprendre d’un seul mot.
« Tu as raison, approuve le lieutenant. Maintenant que la connerie est faite et puisque le Champagne se trouve glacé, autant le boire. »
Le géant prussien s’approche à grands pas de la glacière et constate avec satisfaction qu’il s’agit d’un magnum. Il ajuste son monocle pour lire l’étiquette et prendre connaissance du millésime. Un claquement de palais admiratif, et il déclare à haute voix :
« Connaisseur, le maquereau. »
Raphanaud intervient.
« Toubib, Lehiat, Parsianni, les infirmiers et les quatre types qui sont montés avec le lieutenant, amenez vos quarts. »
Noack, avec des gestes d’expert, fait sauter le bouchon et commence à répartir la boisson entre les dix hommes.
« J’en veux, supplie Bugat.
– Ça te ferait mal, tranche Lambert.
– Même si j’en crève, j’en veux. »
Noack approche son propre quart des lèvres du blessé qui parvient à avaler deux gorgées et à sourire faiblement.
« C’est bon, hein ? dit-il.
– Oui, approuve Noack, mais maintenant pense à autre chose et repose-toi si tu veux t’en sortir. »
La colonne ramasse ses morts et ses blessés et reprend la direction de la voie ferrée. Au pied de l’arbre, les légionnaires abandonnent le magnum vide. Avant de se laisser transporter vers le train blindé, Bugat lui jette un long regard de regret.
En tête de colonne les trois officiers règlent le sort de Bugat. Doivent-ils ou non déférer le légionnaire devant le Tribunal militaire ? Raphanaud pour sa part est d’avis que l’exploit de Bugat et la vie d’Hastarran constituent une sanction suffisamment sévère. Pour Noack, la qualité du Champagne est un élément qui prêche en faveur du blessé.
Lorsque les légionnaires arrivent au train, le sort de Bugat est réglé. L’affaire est étouffée. Elle ne restera pour tous qu’une anecdote. Une de plus parmi celles qui forment la petite histoire de la grande Histoire de la Légion étrangère.
22.
9 AOÛT 1950. Vingt et unième mois de la lancinante mission d’ouverture de la voie. Le train se trouve dans le secteur de Phan-Ri. Le chemin de fer passe à une dizaine de kilomètres du port, mais la légère altitude permet par moments d’apercevoir la mer. Il est tôt dans la matinée, la chaleur est étouffante, le ciel sans nuages.
Le capitaine Raphanaud se tient sur le toit d’un wagon, carabine en main, à l’affût d’un quelconque gibier. Au loin, venant de la côte, il distingue un point noir qui grossit à l’approche. Raphanaud prend ses jumelles : un Morane d’observation semble piquer droit sur eux. Rien d’étonnant, les aviateurs connaissent le train blindé et ne manquent jamais de le saluer lorsqu’ils se trouvent dans son secteur. En quelques minutes, l’avion survole le convoi et passe à quelques dizaines de mètres seulement des wagons. Raphanaud distingue parfaitement les deux hommes du poste de pilotage. Instinctivement, il fait un signe banal du bras. L’avion reprend de l’altitude, vire sur l’aile bien en avant et reprend la direction de la voie, se présentant dans le même axe, en sens inverse du train. Lorsqu’il se trouve à cinq ou six cents mètres, il commence à gîter de droite à gauche, signifiant ainsi qu’il réclame un contact radio.
Raphanaud quitte son poste instantanément et gagne le wagon-radio. Lorsqu’il arrive, le contact est établi avec le Morane. L’avion d’observation signale qu’il vient de survoler une jonque suspecte qui reprenait le large à hauteur de Tang-Phu. Il a en outre distingué des traces de débarquement sur la plage, jusqu’à la lisière de la forêt, en direction de Tuân-Giao. Un groupe viet vient probablement d’être ravitaillé par mer et transporte, à l’heure actuelle, le
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