Par le sang versé
cherchent la riposte.
Spécialiste des actions de commando, le capitaine expérimente alors une autre tactique. Chaque jour une section va patrouiller dans la jungle à la recherche de traces laissées par l’ennemi ; reliée au train par radio, elle s’éloigne souvent d’une dizaine de kilomètres. Encore un coup pour rien. Les patrouilles, elles non plus, n’accrochent pas l’ennemi : les viets sont indiscutablement sur leurs gardes et les légionnaires regagnent le train sans encombre.
Le 5 décembre, six hommes et le sergent Célier quittent le train vers six heures du matin entre Mông-Duc et Vân-Lâm. Depuis une dizaine de minutes, ils se tenaient sur le marchepied, cherchant un endroit propice pour sauter. L’endroit exact où ils sont lâchés est sans grande importance, à condition que le train ne s’arrête pas. En revanche, les hommes connaissent le point précis où ils devront rejoindre le convoi dans la soirée.
Juste à la sortie d’une courbe, Célier saute en souplesse, imité aussitôt par les six légionnaires. Les sept hommes s’enfoncent aussitôt dans la forêt et commencent leur progression avec la tranquillité de chasseurs de lapins. Ils doivent franchir un petit col broussailleux et rejoindre de l’autre côté la voie qui fait un large détour pour atteindre Vân-Lâm.
Vers midi la patrouille arrive au sommet du col et décide de descendre l’autre versant sur une centaine de mètres avant de casser la croûte. Reszke, un Polonais, qui marche en queue, interpelle soudain le sergent :
« Sergent ! Il y a eu des gus par là ce matin ! »
Célier jette un regard circulaire.
« Qu’est-ce qui te prend ? Une intuition ?
– Non. Ça sent la merde. »
Tous éclatent de rire. Le sergent lance, furieux :
« Tu crois que j’ai du temps à perdre ? Tu ne sais pas que c’est bourré d’animaux dans le coin ? Non seulement moi je ne sens rien, mais ça ne prouverait strictement rien. »
Sans ordre, calmement, Reszke s’assoit sur une pierre et dévisage le sergent et ses compagnons.
« Le défaut de cette compagnie, c’est qu’on ne se connaît pas assez, dit-il, solennel. Mais je vous demande de me croire. À la 2 e compagnie que je viens de quitter, j’étais célèbre. Jusqu’au colonel qui savait que je suis capable de sentir la merde d’homme à plusieurs kilomètres. »
L’hilarité des légionnaires redouble. Seul Célier demeure sérieux et attentif.
« Écoute, si tu te fous de moi, tu vas la sentir passer, je te le garantis.
– Sergent, c’est de cette direction que ça vient, proteste Reszke, en désignant le sud-ouest. Je n’ai pas envie de faire de la marche supplémentaire, mais je vous affirme que des hommes ont cagué à moins de cinq cents mètres par là, et pas plus tard que ce matin. »
L’assurance du Polonais fléchit le sergent qui décide de faire un détour, laissant guider la section par l’odorat du légionnaire. Les hommes sont mécontents. Seul leur sens de la discipline les empêche de protester avec plus de véhémence ou de discuter les ordres du sergent. L’un d’eux sort une cigarette et s’apprête à l’allumer, déclenchant chez Reszke une réplique cinglante et méprisante. Comme un initié s’adressant à un profane, le Polonais s’exclame :
« T’es pas un peu con ! Tu veux saboter mon boulot ou quoi ?
– Ça va, fumez pas », tranche Célier pourtant peu convaincu.
Le légionnaire jette sa cigarette d’un geste rageur et hausse les épaules.
Satisfait de l’intervention du sergent en sa faveur, Reszke progresse avec des allures cabotines, ponctuant sa marche d’arrêts et de froncements de narines. Vingt minutes plus tard, il ne lui reste qu’à savourer son triomphe et à se délecter de l’admiration ébahie avec laquelle le dévisagent ses compagnons. Il a conduit la section en plein sur un camp fraîchement abandonné qu’une piste traverse.
Le légionnaire à la cigarette fait amende honorable.
« C’est un don du Ciel que t’as reçu, mon pote ! C’est pas possible. Moi je ne sens toujours rien. »
Reszke désigne un buisson à quelques mètres.
« C’est là-bas derrière qu’ils ont chié. La prochaine fois, vous me croirez. »
Le sergent va jusqu’à l’endroit désigné et vérifie.
« Il a raison. C’est pas un homme, c’est un chien ce mec-là. »
Le sergent Célier réalise brusquement qu’il a enfreint les ordres en
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