Par le sang versé
trois à ne pas être blessé :
« La radio ! Il faut prévenir le train. »
Le radio a le pied transpercé. Reszke l’aide à se défaire des sangles qui soutiennent le poste sur son dos. Un simple regard suffit pour comprendre qu’il est inutilisable : il a été atteint par un éclat de mortier et des fils pendent, s’échappant par une ouverture de la grosseur d’un poing.
Célier jure entre ses dents, regarde les visages de ses trois compagnons défigurés par la douleur. Il est visible qu’ils sont à peine conscients. Alors à nouveau, il s’adresse à Reszke :
« Tous les trois, prenez toutes nos armes, y compris les grenades, et laissez-nous ! Rejoignez le train le plus vite possible. Faites un rapport. Ils aviseront. Nous ne pouvons pas bouger.
– Sergent, objecte Reszke, on peut essayer de se défendre en carré.
– Faites ce que je vous dis, nom de Dieu ! Vous croyez que j’ai la force de discuter ?
– Gardez vos armes, au moins une.
– Foutez le camp tous les trois ! Si on garde une arme elle tombe dans leurs mains. »
Reszke obéit. Sans un mot, les trois hommes valides disparaissent en courant, laissant les quatre blessés désarmés.
Célier constate que la plaie d’un des légionnaires saigne lentement. L’homme serre sa cuisse de toute la force qui lui reste dans les mains. Il pleure comme un enfant avec de gros sanglots hoquetants.
Le sergent s’approche, défait le ceinturon de cuir souple du légionnaire et lui confectionne un garrot autour de la cuisse.
« Il y a longtemps que tu saignes ?
– J’ai pas arrêté, je vais crever.
– On va tous crever. On a laissé des traces avec ton sang, ils vont arriver. Tâche d’arrêter de chialer comme une gonzesse.
– Je chiale pas parce que j’ai peur, je chiale parce que j’ai mal.
– Bon, ça va. Écoutez-moi tous les trois. On va tomber dans leurs pattes. Nous ne pouvons plus rien. Alors inutile de perdre les dernières minutes qui nous restent à vivre à nous apitoyer sur notre sort. Pour ma part, j’ai à penser à pas mal de choses. Faites comme moi. Qui veut une cigarette ? »
Les trois hommes refusent d’un signe de tête.
« De la flotte ? »
Ils acquiescent. Le bidon du sergent passe de main en main avant de revenir jusqu’à lui. Il le vide et le jette, puis il sort un paquet de Mic de sa poche et allume une cigarette fripée. Il garde les yeux rivés sur sa montre.
Il y a maintenant dix minutes que Reszke et les deux légionnaires les ont quittés. Dans une petite heure, ils doivent avoir rejoint le train. Si, par miracle, les viets avaient décroché, une patrouille de secours pourrait être là dans deux heures et demie.
Cinq minutes passent encore et Célier par instinct comprend que les viets sont tout proches. Il est sûr que ses compagnons et lui sont observés. Il chuchote.
« Ça y est. Ils sont autour de nous. Au revoir, les gars. »
Mais quelques minutes s’écoulent encore, avant que brusquement les quatre blessés se trouvent encerclés par une vingtaine de petits soldats en noir qui braquent sur eux leurs fusils. En silence, deux soldats viets s’approchent et palpent habilement les blessés pour s’assurer de l’absence d’armes. Ils se retournent prestement vers l’homme qui semble être leur chef et, d’un seul mot bref, annoncent qu’aucun danger n’est à redouter.
Rengainant un pistolet, le chef s’approche de Célier et s’adresse à lui dans le français chantant et nasillard familier aux légionnaires :
« Vous êtes un bon soldat, sergent, courageux et intelligent. Vous avez compris que si vous conserviez vos armes votre sort ne changerait pas, mais qu’elles tomberaient entre nos mains. »
Célier ne répond pas et se contente de hausser les épaules.
« J’ai une proposition à vous faire, poursuit le petit chef viet. Bien qu’elles soient très douloureuses, vos blessures sont superficielles. Nous pouvons vous soigner, et vous guérir très rapidement. De mon côté, il me faut des renseignements sur votre train blindé, et notre armée a besoin d’instructeurs tels que vous. Vous êtes des soldats sans patrie, que vous importe de vous battre dans un camp ou dans un autre ? Je vous donne une minute de réflexion. – Je t’emmerde ! » lance Célier. Speck, un caporal allemand 3 , se décide aussitôt. Sans oser regarder Célier, il s’adresse au viet : « Je marche. Enlevez-moi cette saloperie du
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