Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Par le sang versé

Par le sang versé

Titel: Par le sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul Bonnecarrère
Vom Netzwerk:
« wagon-restaurant » Raphanaud et Lehiat qui l’accueillent en souriant. Raphanaud prend les devants :
    « Je sais, Noack, votre cocktail quotidien n’était pas frais !
    –  Exact, mon capitaine. Cette guerre devient inhumaine.
    –  Consolez-vous, mon vieux. Après-demain nous fêtons tous Camerone à Phan-Thiet.
    –  Douce perspective, en effet. En attendant, si vous le permettez, je me rends aux cuisines. »
    C’est l’habitude de Noack ; avant chaque repas il gagne le wagon-cuisine qui précède le wagon-restaurant et passe une brève inspection des mets en préparation. Il a une grande estime pour le talent du chef hongrois Laslo Vad, qui sait accommoder avec finesse les matières premières médiocres dont il dispose. Ce jour-là, Vad est occupé à la confection de tubercules d’ignames au lait de chèvre. Noack visse son monocle et porte un regard attentif à l’énorme marmite, puis, d’un geste rituel, il se saisit de la cuiller de bois et goûte l’étrange préparation avant de déclarer solennellement :
    « C’est mangeable ! »
    S’apprêtant à quitter le wagon, il jette un coup d’œil distrait sur l’énorme tas de tubercules d’ignames disposé dans le fond de la cuisine roulante, rendant un hommage muet à la science du cuisinier qui a su rendre agréablement comestible ce légume tropical, si peu appétissant à la vue.
    Aussitôt, Noack est frappé par un glissement du tas de légumes qui ne semble pas causé par les trépidations du train.
    Noack poursuit son observation, intrigué. Le mouvement se reproduit.
    « Vad ! Nom de Dieu ! Il y a des rats sous le tas d’ignames, tu pourrais surveiller ça, bougre de porc…
    –  Mais non, mon lieutenant, c’est le train qui fait chahuter les légumes.
    –  Non, mais tu me prends pour un con ! Je te dis qu’il y a des rats ! Allez vide-moi tout ça.
    –  • C’est bien, mon lieutenant, je vais le faire, vous pouvez aller au restaurant, je viendrai vous dire…
    –  Je vais nulle part, je te regarde faire. Dis à tes aides de te donner un coup de main et déblayez-moi ça, que je me rende compte moi-même. Si tu crois que je vais bouffer ta tambouille sans vérifier, tu me connais mal ! »
    Vad est devenu livide, il bredouille :
    « Mon lieutenant, je peux pas faire ça. »
    Noack flaire l’histoire louche, il s’approche du tas d’ignames en déclarant :
    « C’est bon, je vais t’aider. »
    Vad l’arrête en lui prenant le bras.
    « Mon lieutenant, j’aime mieux vous dire, c’est pas des rats, c’est des gonzesses.
    –  Quoi ?…
    –  C’est deux putes, mon lieutenant. On les a ramassées à Nha-Trang, les affaires ne marchaient pas très fort pour elles depuis que la Légion est consignée, alors on leur a proposé de voyager avec nous… »
    Noack fait valser les légumes qui recouvrent les deux filles. Il les soulève sans ménagements, les tirant par les bras. Elles tremblent comme des feuilles, leur crasse est indescriptible. Elles ne sont vêtues chacune que d’une chemise de légionnaire, maculée de taches de toutes sortes, et imprégnée de poussière de charbon. Leurs cous, leurs visages, leurs cuisses nues sont également recouverts de taches noirâtres. À ces détails près, elles sont jeunes et jolies, probablement des Moï. Sans le laisser paraître, Noack est enchanté, il n’en assène pas moins une claque retentissante sur la joue du Hongrois qui va s’écrouler à trois mètres.
    « Explique, fumier !
    –  Il n’y a rien de plus à expliquer, mon lieutenant, bredouille Vad encore étourdi par la violence de la gifle. Les hommes viennent de temps en temps et ils tirent un coup, c’est tout.
    –  C’est tout, bien sûr ! Et le pognon ? Ça se paie, des putes ! Où est le pognon qu’elles ont ramassé ? Et où se passe le manège ?
    –  Dans le tender, mon lieutenant, sur le charbon, les hommes viennent la nuit par les toits des wagons.
    –  Ça explique leur état de fraîcheur à tes putes, ça n’explique pas où elles planquent le pognon », réplique Noack en explorant les poches vides des chemises que portent les filles.
    En essayant de radoucir son ton, Noack s’adresse aux prostituées :
    « Vous parlez français ?
    –  Un ti peu, mon litinant, lancent-elles en chœur.
    –  C’est bon, suivez-moi », ordonne Noack en les saisissant par le bras.
    Au moment où il s’apprête à quitter le wagon-cuisine en compagnie des

Weitere Kostenlose Bücher