Perceval Le Gallois
en le nommant roi. L’est-il vraiment et, dans ce cas, sur quel royaume règne-t-il ? Certes, je brûle de le savoir ! Mais mon maître Gornemant m’a bien mis en garde, je ne dois pas me mêler des affaires qui ne me concernent pas. » D’ailleurs, tout à sa joie d’être reçu avec tant d’honneur, le fils de la Veuve Dame vivait chaque instant comme s’il se fût agi de l’éternité.
Pourtant, vers la fin du repas, comme la jeune femme repassait avec la coupe devant lui, il eut un brusque éblouissement. Dans son ardent désir de savoir ce que contenait la coupe, il se souleva imperceptiblement de son siège, de manière que personne dans l’assistance ne pût s’aviser de son geste, et examina avec attention l’intérieur de la coupe, ou du moins ce qu’il en pouvait discerner, en dépit de l’intense luminosité qui en émanait. Et il sursauta en y voyant une tête d’homme baignant dans son sang. Cette vision dura à peine l’espace d’un instant, de sorte que lorsque la jeune fille eut regagné la chambre d’où elle était venue, Perceval se persuada qu’il avait eu une simple hallucination, vraisemblablement due à l’abondance et à la richesse des vins qu’on lui avait fait boire.
Or, le repas s’achevait. Les gens à qui incombait cette charge entreprirent d’emporter la vaisselle, de retirer les nappes et de ranger soigneusement les tables. Bientôt, Perceval se retrouva quasiment seul en compagnie du Pêcheur. Tous deux passèrent une partie de la soirée à bavarder, tandis que d’autres valets leur préparaient des dattes, des figues et des noix muscades, des girofles et des grenades, ainsi que des pâtes de gingembre gelées aux aromates. Après quoi, ils burent encore de nouveaux breuvages, du vin au piment où n’entrait ni miel ni résine, et du vin de mûres au goût délicieux. N’étant guère fait à pareil régime, le jeune Gallois s’émerveillait de tout cela, et il sentait son esprit s’alourdir de plus en plus.
Le Pêcheur ne manqua pas de s’apercevoir que son hôte commençait à être fatigué. « Mon garçon, lui dit-il, il est temps maintenant d’aller nous coucher. Si tu le permets, je vais retrouver mon lit dans ma chambre. Quant à toi, je te ferai conduire dans une autre pièce où tu pourras te reposer tout à loisir. » Quatre valets s’approchèrent et, saisissant le Pêcheur par les épaules, le menèrent pas après pas vers une porte que Perceval n’avait pas encore vue. Auprès du jeune homme étaient demeurés deux valets chargés de le servir et de prendre soin de lui. Ceux-ci le conduisirent dans une chambre basse mais somptueuse et richement ornée de tentures. En son centre se trouvait un lit drapé d’une étoffe de soie aux couleurs lumineuses. Fixées aux murs, des torches et des chandelles rivalisaient d’éclat avec la luminosité naturelle du teint de Perceval. Quand il vit qu’un seul lit occupait cette chambre, il congédia ses guides et s’assit sur une banquette placée devant le lit.
Alors entrèrent quatre servantes, toutes plus jeunes et plus belles les unes que les autres, qui s’inquiétèrent de savoir s’il se trouvait assez bien logé et si son lit lui paraissait suffisamment moelleux. Elles portaient chacune un chandelier d’argent qui nimbait d’une douce lumière leurs formes gracieuses. En les voyant, Perceval, qui venait de se dévêtir, se glissa prestement sous la couverture, mais elles avaient eu le temps d’apercevoir sa nudité. Elles en furent émerveillées, tant le corps du jeune homme était souple et imberbe. Et sa bouche vermeille avait jeté dans leur esprit un trouble qu’elles réprimaient difficilement. « Seigneur, dirent-elles, demeure un moment éveillé par égard pour nous. – Certes, répondit-il, rien ne me ferait un plus grand plaisir. »
Et, de fait, il était dans le ravissement de se voir ainsi entouré. Trois des jeunes filles portaient dans leurs blanches mains un plateau chargé de coupes, ainsi que des flacons d’eau fraîche et de sirops aux senteurs agréables. La quatrième tenait un linge blanc qu’elle étendit sous la nuque de Perceval. Or, lorsqu’elle se pencha vers lui et qu’il entrevit les deux globes qui tendaient son corsage, il ne put résister au désir qui le tenaillait et la pria de s’allonger près de lui. « Que non ! riposta-t-elle. N’essaie pas de me troubler, sans quoi je serais incapable de te servir au gré de mon seigneur. »
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