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Pilote de guerre

Pilote de guerre

Titel: Pilote de guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine de Saint-Exupéry
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bonne chaleur et d’où, enfoui sous les couvertures et l’édredon jusqu’à l’œil gauche, je surveillais ma cheminée. Et d’abord ça ne prenait guère, puis il y avait de courts éclairs qui illuminaient le plafond. Puis ça commençait de s’installer là-dedans comme une fête qui s’organise. Ça commençait de crépiter, de ronfler, de chanter. C’était gai comme un banquet de noces villageoises, quand la foule commence de boire, de s’échauffer, de se donner des coups de coudes.
    Ou bien il me semblait être gardé par mon feu débonnaire comme par un chien de berger actif, fidèle et diligent, et qui faisait bien son ouvrage. J’éprouvais, à le considérer, sourde jubilation. Et, lorsque la fête battait son plein avec cette danse des ombres au plafond et cette chaude musique dorée, et déjà, dans les coins, ces constructions de braise, quand ma chambre s’était bien emplie de cette magique odeur de fumée et de résine, je quittais d’un bond un ami pour l’autre, je courais de mon lit à mon feu, j’allais vers le plus généreux, et je ne sais pas très bien si je m’y rôtissais le ventre ou m’y réchauffais le cœur. Entre deux tentations, lâchement, j’avais cédé à la plus forte, à la plus rutilante, à celle qui, avec sa fanfare et ses éclairs, faisait le mieux sa publicité.
    Ainsi j’avais trois fois, pour allumer mon feu d’abord, me recoucher, et revenir récolter la moisson des flammes, j’avais trois fois, les dents claquantes, franchi les steppes vides et glacées de ma chambre, et connu quelque chose des expéditions polaires. J’avais marché à travers le désert vers une escale bienheureuse, et j’en étais récompensé par ce grand feu, qui dansait devant moi, pour moi, sa danse de chien de berger.
    Ça n’a l’air de rien, cette histoire. Or, c’était une grande aventure. Ma chambre me montrait, en transparence, ce que je n’aurais jamais su y découvrir si j’avais, un jour, en touriste, visité cette ferme. Elle ne m’aurait livré que son vide banal à peine meublé d’un lit, d’un pot à eau et d’une mauvaise cheminée. J’y aurais bâillé quelques minutes. Comment eussé-je distingué l’une de l’autre ses trois provinces, ses trois civilisations, celle du sommeil, celle du feu, celle du désert ? Comment aurais-je pressenti l’aventure du corps, qui est d’abord un corps d’enfant accroché au sein maternel et accueilli et protégé, puis un corps de soldat, bâti pour souffrir, puis un corps d’homme enrichi de joie par la civilisation du feu, lequel est le pôle de la tribu. Le feu honore l’hôte et honore ses camarades. S’ils visitent leur ami ils prennent leur part de son festin, tirent leur chaise autour de la sienne, et, lui parlant des problèmes du jour, des inquiétudes et des corvées, disent en se frottant les mains et en bourrant leur pipe : « Un feu, tout de même, ça fait plaisir ! »
    Mais il n’est plus de feu pour me faire croire à la tendresse. Il n’est plus de chambre glacée pour me faire croire à l’aventure. Je me réveille du songe. Il n’est plus qu’un vide absolu. Il n’est plus qu’une extrême vieillesse. Il n’est plus qu’une voix qui me dit, celle de Dutertre obstiné dans son vœu chimérique :
    — Un peu de pied à gauche, mon Capitaine…

XII
    Je fais correctement mon métier. N’empêche que je suis un équipage de défaite. Je trempe dans la défaite. La défaite suinte de partout, et j’en tiens un signe dans ma main même.
    Les manettes des gaz sont gelées. Je suis condamné à tourner plein régime. Et voici que mes deux tronçons de ferraille me posent des problèmes inextricables.
    Sur l’avion que je pilote, l’augmentation du pas de mes hélices est limitée beaucoup trop bas. Je ne puis prétendre, si je pique plein régime, éviter une vitesse de près de huit cents kilomètres-heure et l’emballement de mes moteurs. Or, l’emballement d’un moteur entraîne des risques de rupture.
    Il me serait, à la rigueur, possible de couper les contacts. Mais je m’infligerais ainsi une panne définitive. Cette panne entraînerait l’échec de la mission et la perte éventuelle de l’avion. Tous les terrains ne sont pas favorables à l’atterrissage d’un appareil qui prend contact avec le sol à cent quatre-vingts kilomètres-heure.
    Il est donc essentiel que je déverrouille les manettes. À la suite d’un premier effort je viens à bout de celle

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