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Pilote de guerre

Pilote de guerre

Titel: Pilote de guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine de Saint-Exupéry
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Peut-être était-ce un moindre mal. Elle eût pu, se détraquant plus gravement, commencer d’abattre des colonels.
    Je me sens découragé jusqu’à la moelle par ce délabrement universel. Mais comme il me parait inutile de faire sauter, bientôt, l’un de mes moteurs, j’exerce contre la manette de gauche une nouvelle pesée. Dans mon dégoût, j’exagère l’effort. Puis j’abandonne. Cet effort m’a coûté une nouvelle pointe au cœur. Décidément, l’homme n’est pas bâti pour faire de la culture physique à dix mille mètres d’altitude. Cette pointe est une douleur en sourdine, une sorte de conscience locale bizarrement réveillée dans la nuit des organes.
    Les moteurs sauteront s’ils le veulent. Moi je m’en fous. Je m’efforce de respirer. Il me semble que je ne respirerais plus si je me laissais distraire. Je me souviens des soufflets d’autrefois à l’aide desquels on ranimait le feu. Je ranime mon feu. Je voudrais bien le décider à « prendre ».
    Qu’ai-je abîmé d’irréparable ? À dix mille mètres un effort physique un peu rude peut entraîner un déchirement des muscles du cœur. C’est très fragile, un cœur. Ça doit servir longtemps. Il est absurde de le compromettre pour des travaux aussi grossiers. C’est comme si l’on brûlait des diamants pour cuire une pomme.

XIII
    C’est comme si l’on brûlait tous les villages du Nord sans retarder par leur destruction, ne fût-ce que d’une demi-journée, l’avance allemande. Et cependant cette provision de villages, ces vieilles églises, ces vieilles maisons, et toute leur cargaison de souvenirs, et leurs beaux parquets de noyer verni, et le beau linge de leurs armoires, et les dentelles de leurs fenêtres, qui avaient servi, jusqu’à aujourd’hui, sans s’abîmer – voici que, de Dunkerque à l’Alsace, je les vois qui brûlent.
    Brûler est un grand mot quand on observe de dix mille mètres, car, sur les villages comme sur les forêts, il n’est rien qu’une fumée immobile, une sorte de gelée blanchâtre. Le feu n’est plus qu’une digestion secrète. À l’échelle des dix mille mètres le temps est comme ralenti, puisqu’il n’est plus de mouvement. Il n’est plus de flammes craquantes, de poutres qui éclatent, de tourbillons de fumée noire. Il n’est rien que ce lait grisâtre figé dans l’ambre.
    Va-t-on guérir cette forêt ? Va-t-on guérir ce village ? Observé d’où je suis, le feu ronge avec la lenteur d’une maladie.
    Ici encore il est beaucoup à dire. « Nous ne ferons pas d’économie de villages. » J’ai entendu le mot. Et le mot était nécessaire. Un village, au cours d’une guerre, n’est pas un nœud de traditions. Aux mains de l’ennemi il n’est plus qu’un nid à rats. Tout change de sens. Ainsi tels arbres, vieux de trois cents ans, abritaient votre vieille maison de famille. Mais ils gênent le champ de tir d’un lieutenant de vingt-deux ans. Il expédie donc une quinzaine d’hommes anéantir, chez vous, l’œuvre du temps. Il consomme, pour une action de dix minutes, trois cents années de patience et de soleil, trois cents années de religion de la maison, et de fiançailles sous les ombrages du parc. Vous lui dites :
    — Mes arbres !
    Il ne vous entend pas. Il fait la guerre. Il a raison.
    Mais voilà que l’on brûle les villages pour jouer le jeu de la guerre, de même que l’on démantibule les parcs, et sacrifie les équipages, de même que l’on engage l’infanterie contre les tanks. Et il règne un inexprimable malaise. Car rien ne sert à rien.
    L’ennemi a reconnu une évidence, et il l’exploite. Les hommes occupent peu de place dans l’immensité des terres. Il faudrait cent millions de soldats pour dresser une muraille continue. Donc entre les troupes il est des trous. Ces trous sont annulés, en principe, par la mobilité des troupes, mais, du point de vue de l’engin blindé, une armée adverse peu motorisée est comme immobile. Les trous constituent donc des ouvertures véritables. D’où cette règle simple d’emploi tactique : « La division blindée doit agir comme l’eau. Elle doit peser légèrement contre la paroi de l’adversaire et progresser là seulement où elle ne rencontre point de résistance. » Les tanks pèsent ainsi contre la paroi. Il est toujours des trous. Ils passent toujours.
    Or ces raids de tanks qui circulent aisément, faute de chars à leur opposer, entraînent des conséquences

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