Prophétie

pour éviter la compagnie de l’apprenti.
     
     
    À l’intérieur de la cellule, Guy était agenouillé, face à face avec Adam qui s’était recroquevillé une fois encore dans un coin. À nouveau Guy avait réussi à gagner l’attention de l’adolescent et lui parlait d’une voix douce. Je restai coi, contemplant la scène.
    « Croyiez-vous réellement que si vous opériez des conversions vous pourriez être sauvé ? demandait Guy.
    — Oui, chuchota Adam. Mais j’avais tort. Comment aurais-je pu sauver ces âmes si je ne suis pas moi-même sauvé ?
    — L’ange des ténèbres vous a annoncé que vous n’étiez pas sauvé. Quand vous l’a-t-il annoncé ?
    — Dans un rêve. Après que j’avais péché.
    — Quel péché avez-vous commis ?
    — Non ! lança Adam en serrant les paupières. Non ! J’ai commis tous les péchés. Non !
    — D’accord, fit Guy en posant la main sur l’épaule du jeune homme, tandis que celui-ci poussait l’un de ses atroces soupirs déchirants. Vous devez être fatigué, Adam. Après cette course et cette escalade.
    — Peu importe la fatigue, marmonna-t-il. Je dois prier.
    — Mais la fatigue sape la concentration. Comment pouvez-vous alors bien prier et écouter Dieu ? Cela requiert parfois un effort de L’écouter. Et si vous étiez tombé du mur ? Vous n’auriez plus la possibilité de prier.
    — J’avais peur. Je voyais bien que je pouvais tomber. J’étais très haut perché. » Quand il prononça ces trois phrases, les premières qu’il ait prononcées concernant le monde réel, son teint sembla s’éclaircir et ses traits parurent redevenir ceux d’un adolescent comme un autre. D’un adolescent effrayé, certes.
    « J’ai eu peur, moi aussi, quand j’ai escaladé ce mur. On est pris de vertige quand on met le pied sur un mur aussi haut. »
    À mon grand étonnement, Adam esquissa un sourire, un minuscule sourire évanescent. « C’est vrai, acquiesça-t-il, avant de se renfrogner. Mais il faut que je prie.
    — Non. Pas maintenant. Vous êtes trop las. Après avoir dormi et ensuite mangé, vous prierez mieux. N’allez pas vers Dieu trop fatigué et trop faible pour Le servir. » Guy se pencha en avant, plongea ses yeux sombres dans ceux de l’adolescent. « Vous avez encore le temps, le temps d’être sauvé. Dormez maintenant, dormez. Voilà, vos yeux se ferment. » Les paupières d’Adam papillotèrent. « Se ferment… Dormir. Dormir… » Saisissant les épaules du gamin, il l’allongea délicatement sur le sol. Adam ne résista pas : il était déjà endormi. Guy se redressa,grimaçant au moment où ses articulations craquèrent. Adam ne bougea pas.
    « Remarquable exploit, dis-je.
    — Ce n’était pas difficile. Il était complètement épuisé… Vous aussi, Matthew, vous semblez mort de fatigue. Et vous êtes tout pâle. Comment va votre bras ?
    — Il m’élance. Je devrais rejoindre Daniel et Minnie… »
    Guy posa une main sur mon bras. « Vous m’inquiétez, Matthew. Tout cela vous affecte… Cette autre affaire…
    — Guy, il était là aujourd’hui, parmi la foule. Le tueur. Je l’ai juste entraperçu, mais c’était lui, je le sais. Il me nargue. Je suis trop faible pour supporter cela ! hurlai-je.
    — Non, vous n’allez pas abandonner la partie. Je vous connais. » Il parlait d’un ton à la fois réconfortant et grave, et il avait l’air triste.
    « L’enterrement de Roger a lieu demain. Dorothy m’a envoyé un mot pour m’indiquer l’heure.
    — Vous devriez rentrer chez vous pour reposer votre bras.
    — Je le sais. Je crains cependant qu’il ne frappe de nouveau. Bientôt… Cela me hante, Guy, poursuivis-je après un bref silence. Pas à la façon de Harsnet qui pense que nous avons affaire à un possédé, ni à celle de Barak qui, n’ayant jamais rien vu de tel, est terrifié et cherche désespérément la clef de l’énigme. Ce qui me poursuit, c’est l’horreur de la situation, qui s’infiltre dans mes os, en quelque sorte. Or, avant la mort de Roger, pour la première fois depuis des années, je me sentais bien. Et voilà que… Je pense que vous avez raison, continuai-je, à propos de la personnalité de cet individu : il s’agit d’une curieuse et affreuse forme de folie… Vous avez dû atrocement souffrir à cette époque lointaine pour avoir été poussé à entreprendre cette étrange et terrible recherche.
    — En effet. Je vous l’ai dit.