Qui étaient nos ancêtres ?
Moncel-sur-Salle les « culs crottés », ceux de Sorneville les « plaideurs », ceux d’Athienville les « bigots »… Il en allait ainsi dans toutes les régions de France, à tel point que prononcer un de ces surnoms, lors d’un bal, d’un mariage ou d’une partie de soule (et cela ne manquait jamais d’arriver) suffisait souvent à déclencher une bataille rangée. Au contraire, le fait d’habiter un même lieu ou d’être originaire d’une même paroisse rapproche presque toujours : on sait qu’« avec l’ami Bidasse on n’s’ennuie jamais, attendu qu’on est tous deux natifs d’Arras ».
« Jamais femme ni cochon ne doit quitter la maison »
L’homme et la femme appartiennent longtemps à deux mondes sinon différents, du moins distincts. À l’église, comme ensuite à l’école, chaque sexe a son territoire, sa travée ou son bâtiment. À la ferme, dans bien des régions, hommes et femmes mangent séparément. Les hommes sont servis comme des hôtes, avec tous les égards dus aux invités, par les femmes, qui restent debout et quasiment au garde-à-vous. À l’extérieur, chacun a ses espaces : seuls les hommes vont aux foires. Les femmes ne vont ni en ville, ni même – dans les régions d’habitat dispersé – au village où beaucoup ne vont qu’à l’occasion des noces où elles sont invitées. Une fille qui a peu de famille pourra ainsi n’y aller que le jour de son propre mariage, en plus d’y avoir été amenée par son père, le jour même ou le lendemain de sa naissance, pour recevoir le baptême. Elle y repassera bien sûr, un jour, pour y être inhumée au cimetière. Aucune, d’ailleurs, ne le conteste. Il en a toujours été ainsi et c’est presque pour elle un point d’honneur. Un adage ne le rappelle-t-il pas ? « Jamais femme ni cochon ne doit quitter la maison » !
Chaque sexe a donc son espace et son univers. « Les femmes à la maison, comme les chiens ; les hommes à la rue, comme les chats », dit-on en Gascogne, et de là découle toute une gestion à la fois de l’espace et du travail. Les hommes régnent sur les prés, les vignes, les champs, la cour de ferme et les étables ; les femmes sur la maison (avec la responsabilité, à la fois concrète et symbolique, de l’âtre et du foyer), le jardin et la basse-cour. C’est leur périmètre, dont elles ne doivent pas sortir seules, sauf au temps des gros travaux – fenaisons, moissons et vendanges – où elles sont traditionnellement présentes et actives sur le théâtre des opérations, et à l’exception d’espaces strictement féminins, où elles se rendront de préférence à deux ou à plusieurs et seront certaines de se retrouver entre femmes. Comme la forge, l’auberge, le moulin sont ce que nos sociologues appellent des lieux de sociabilité masculins, où les hommes participent à la vie publique (ils seront plus d’un siècle durant les seuls à avoir le droit de vote) ; le lavoir, le puits ou la fontaine sont des lieux de sociabilité féminins, où les femmes commentent de préférence la vie privée.
Dans la rue, il est bien vu que l’homme s’arrête pour bavarder. La femme, elle, ne doit faire que passer, le regard baissé. Le balai est le sceptre de la femme, alors que l’homme, réputé plus robuste, assume les travaux pénibles. À sa femme le fuseau, à lui la charrue et l’autorité sur les bœufs. Lois et coutumes confirment tout cela. L’épouse, le plus souvent considérée juridiquement comme une personne mineure, doit respect et obéissance à son mari. Elle ne peut engager de démarche officielle sans son autorisation expresse et ne saurait même librement gérer seule et en personne l’héritage qu’elle a reçu de ses parents. « Qui a mari a seigneur », dit un adage qui a ses déclinaisons régionales. « Le chapeau doit commander à la coiffe », dit-on en Bretagne ; « quand le coq a chanté, la femme doit se taire », entend-on en Picardie.
D’abord fille de son père, puis épouse de son mari, au fil de sa vie comme au fil de la journée, la femme obéit à l’homme. Que celui-ci ordonne : « Femme, du vin ! Femme, du boudin ! », elle s’empresse de le satisfaire. Tout est prévu, même les cas de maris ou d’hommes faibles et influençables : « À toute heure, chien pisse et femme pleure », rappellent les pères à leurs fils. Et qui contreviendrait à cet ordre des choses serait désapprouvé et
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