Qui ose vaincra
voies de communication et
me mettre en mesure d’exécuter les ordres qui me sont transmis. »
Herre jubile. Il extrait
de la poche intérieure de son costume civil un calepin grossier d’écolier. D’une
voix de tête qui ne surprend pas, il récite sur un ton d’élève qui connaît bien
sa leçon :
« Mai 43, il y a
plus d’un an, mon général, je vous ai fait parvenir un rapport de plus de
cinquante pages sur l’activité croissante des groupes de combattants
clandestins dans le Morbihan. Il est resté sans réponse. Juillet 43, je
sollicite de vous un entretien qui m’est refusé. Janvier 44, nouveau refus. Enfin,
dois-je vous le rappeler, vous m’accordez audience le 3 avril dernier, mais c’est
tout juste si vous m’écoutez. J’ai le sentiment de vous indisposer et de vous
offenser en m’ouvrant à vous de problèmes mineurs, indignes de votre grade. Mais
ce qui est plus grave, mon général, c’est que vous me refusez l’appui militaire
que je vous réclame. »
Depuis le début du
monologue de l’officier de renseignements, Fahrmbacher a compris qu’il n’arriverait
pas à se contenir. Il explose, portant sur sa table un coup furieux du plat de
la main :
« Nom de Dieu !
Herre, abandonnez ce ton et réalisez à qui vous vous adressez. Je commande à
des soldats, ni à des flics, ni à des bourreaux. Votre requête était malvenue
et insultante. Mon refus serait aussi pé-remptoire aujourd’hui si vous m’adressiez
la même supplique, et cela quelle que soit la situation dans laquelle nous nous
trouvons.
« J’attends de vous
que vous fassiez votre métier – je n’ose pas dire votre devoir –, et que vous m’apportiez
des renseignements sur lesquels je pourrai me fonder pour engager des opérations
militaires.
— Et pour faire à
votre tête votre métier, pardon, votre devoir ?
— Je passe sur
votre insolence en raison de la situation.
— Eh bien, avouez-le,
mon général : vous avez besoin de moi, vous le savez, et vous êtes
conscient de vos erreurs. »
Fahrmbacher arrive à
articuler :
« J’ai besoin de
vous, Herre, mais rien ne m’obligera jamais à vous estimer. »
À quarante-neuf ans, Maurice
Zeller a conservé une allure de jeune homme. Il n’a jamais cessé de prendre
soin de sa forme physique, travaille la noblesse de ses gestes, sa démarche
souple, l’aisance de son corps.
Il est toujours vêtu
avec une recherche affectée, une sobriété voulue. Ses mains fines sont
manucurées et ses longs cheveux grisonnants soigneusement rejetés en arrière. Alsacien
d’origine, Méridional de naissance, Maurice Zeller fut en 1913 un brillant
candidat à l’École navale. De 1914 à 1918, il fit une guerre courageuse de
laquelle il sortit avec plusieurs citations, la croix de chevalier de la Légion
d’honneur et le grade de lieutenant de vaisseau.
Pour cet officier de
marine brillant, promu à un avenir sans ombre, les choses se gâtent en 1925. Zeller
est muté en Indochine. Pendant deux ans il séjournera à l’Amirauté de Saigon. Dans
les premiers mois de son séjour Zeller s’ennuie, puis très vite il se laisse
bercer par les charmes de l’Extrême-Orient, envahir et déborder par une
attirance sexuelle pour les Jaunes des deux sexes. Cette tendance le porte
naturellement et rapidement vers les fumeries d’opium ; bientôt il y passe
ses nuits. De la consommation au trafic il n’y a qu’un pas : il le
franchit. Sa chute est vertigineuse ; il est découvert, dégradé, rayé des
cadres de la Marine. Même l’opium dont il reste l’adepte n’apaise pas la haine
qu’il voue à ses anciens compagnons. Le poids de l’humiliation qu’on lui a fait
subir ne s’allège jamais ; il se renforce en 1939, lorsqu’à son offre de
reprendre du service, on oppose un méprisant refus.
Il croit tenir sa revanche
en 1941, quand il s’engage dans la Ligue des Volontaires français contre le bolchevisme.
Il y mène un combat superbe sur le front de l’Est. Par force, il a momentanément
cessé de fumer l’opium.
Lors d’une permission, il
rencontre Doriot et, de fil en aiguille, il devient l’un des agents les plus
estimés de l’Abwehr. Au début 1944, il est versé au groupe du capitaine
Herre (groupe Pierre Lyon) et s’installe dans le Morbihan à Pontivy.
Nul ne saura jamais par
quel moyen il s’est procuré cinq kilos d’opium. Il a de quoi entretenir son
vice pendant plusieurs
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