Qui ose vaincra
années.
Maurice Zeller a fait
réquisitionner un banal pavillon en bordure du gros bourg. Il l’a meublé de
faux meubles chinois, a disposé partout des bibelots exotiques ; il couche
par terre sur une natte.
Il vient de plonger la
longue aiguille dans le pot à confiture à moitié plein d’une visqueuse
substance brune. Roulant son aiguille au-dessus du pot, il amalgame une
boulette de la taille d’un petit pois qu’il porte sur la flamme de la lampe à
huile. La boulette enfle au contact de la chaleur, prend une belle couleur
acajou. Zeller dispose la boulette sur la cheminée minuscule du fourneau de sa
pipe et, d’un coup précis, il la perce, puis il approche le fourneau de la
flamme, vide ses poumons et aspire voluptueusement la fumée dans le
grésillement de la drogue qui cuit. La boulette fond. Tout en poursuivant son
aspiration, Zeller pousse à l’aide de l’aiguille les résidus d’opium vers la cheminée
afin de n’en pas perdre la moindre parcelle. Les poumons pleins à éclater, Zeller
se retient pour ne pas expirer, saisit une tasse de lait tiède qu’il avale d’un
trait. Alors il se retourne. Couché sur le dos, les yeux rivés au plafond, il
lâche, par toutes petites goulées, la fumée bleuâtre.
Zeller reste immobile
une minute, puis se lève et range son matériel qui disparaît dans un buffet. Il
reprend sa position allongée et attend tranquillement l’arrivée de ses hommes.
Luiz Munoz, vingt-sept
ans, originaire d’Andalousie, naturalisé français en 1932. Alfred Gross, vingt-six
ans, Alsacien né à Strasbourg. Depuis le début de l’Occupation les deux seconds
de Maurice Zeller ont connu des destins parallèles : Milice, Gestapo, et
enfin Abwehr, mais là s’arrêtent leurs affinités. Gross est une brute aux
proportions colossales, au cerveau obtus. Munoz est un petit truqueur malin et
sournois.
Les deux hommes ont
juste le temps de s’installer sur des sièges bas quand le capitaine Herre, alias
Pierre Lyon, arrive à son tour. L’officier de renseignements se débarrasse de son
imperméable qui lui tombe aux chevilles, de son petit chapeau vert. Il hume, en
connaisseur, le parfum douceâtre de la drogue dont la pièce reste imprégnée, lance
un regard dédaigneux au kimono dont Zeller s’est affublé. Méprisant, il siffle :
« Vous trouvez que
le moment est choisi pour vous déguiser et vous abrutir avec votre saloperie, Zeller ?
— Changez de ton, Lyon.
Vous n’êtes pas mon chef, simplement mon collaborateur. »
Un sourire tendu se
dessine sur les lèvres minces du capitaine Herre :
« J’aime ce mot
dans votre bouche. Trêve d’enfantillage, je sors de chez Fahrmbacher. Ce pantin
semble enfin décidé à nous laisser agir.
— Je ne vois pas ce
que cela change.
— Moi, je le vois
très bien. La Wehrmacht a mis la main hier sur deux terroristes qui circulaient
à bicyclette dans la région de Malestroit. Jusque-là rien que de très banal, mais
j’ai appris qu’ils étaient en possession d’armes anglaises neuves, des armes
qui n’avaient jamais servi. L’appui du général va nous permettre de nous faire
confier ces salopards. C’est un point de dé part. »
Zeller est brusquement
intéressé. Il se lève.
« Deux minutes pour
m’habiller, je vous suis. »
À la prison de Pontivy, le
sous-officier responsable s’est fait confirmer par téléphone l’ordre de
remettre les prisonniers. Il n’a aucune sympathie pour les deux jeunes garçons,
mais il les regarde néanmoins suivre le sinistre quatuor avec pitié.
Le siège de la Gestapo
de Pontivy se situe dans une triste et sobre demeure aux murs de pierre, à
quatre kilomètres de la ville dans la direction de Cleguerec. Des cellules ont
été improvisées dans une grande cave ; deux pièces sont réservées au
rez-de-chaussée aux services de l’Abwehr.
Les deux prisonniers
sont poussés sans ménagement dans l’une d’elles. La pièce est vaste, nue, froide ;
une ampoule électrique pend du plafond au bout d’un fil ; le mobilier ne
comporte qu’une table de bois grossier, quatre chaises, trois tabourets.
Le capitaine Herre s’assoit
derrière la table. Sur la gauche, il dispose un paquet de cigarettes et un
briquet. Il sort d’un tiroir un cahier de brouillon d’écolier, un encrier et
une plume. Munoz y dépose en outre les deux mitraillettes Sten enveloppées dans
un chiffon et une fiche de carton.
Face à lui,
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