Qui ose vaincra
les deux
garçons se tiennent debout. Ce sont deux jeunes cultivateurs des environs de
Malestroit. Ils sont blêmes.
Herre parle. Il cherche
à donner à ses propos un ton paternel, le timbre de sa voix n’en est que plus
grinçant. Malgré un accent prononcé, il s’exprime dans un français pur.
« Voyons, dit-il, je
ne vois sur cette fiche que votre prénom. Lequel de vous est René ?
— C’est moi, annonce
péniblement le plus jeune.
— Parfait. Donc, Henri
c’est l’autre. Je ne tiens pas à vous embêter avec des questions secondaires. Vos
noms ne m’intéressent pas. Par contre ce que vous allez m’expliquer en détail, ce
sont les conditions dans lesquelles vous avez reçu ces armes. »
Il joue avec une
mitraillette de laquelle il extrait le chargeur, passe son petit doigt dans l’intérieur
de la cavité cubique, constate la pureté de l’huile, puis, pensif, de la main
gauche à l’aide du pouce, extrait les balles du chargeur, une à une, avec une
dextérité de professionnel.
« Des armes toutes
neuves, ajoute-t-il, songeur. Quelqu’un vous les a données, elles ne sont pas
tombées du ciel ! »
Il rit de sa
plaisanterie.
« N’est-ce pas ? »
Henri, l’aîné, répète
sans conviction sa version des faits
« On venait de les
trouver sur le bord du chemin. On s’était à peine rendu compte que c’était des
armes quand vos soldats nous sont tombés dessus. Sans eux, on les aurait
portées à la Kommandantur. »
Herre grimace un sourire.
« Dans ce cas, il
nous reste à vous féliciter. Je crois même qu’une récompense est prévue pour
les bons Français qui nous aident. »
Zeller s’approche des
deux hommes et dit calmement :
« Déshabillez-vous.
— On a déjà été
fouillés, réplique René.
— Déshabillez-vous !
À poil comme pour la visite du service. »
Avec des gestes lents
les hommes s’exécutent. Ils conservent leurs slips et leurs chaussettes.
« Il a dit : à
poil ! » hurle Gross en distribuant deux gifles.
Gênés, honteux, les
paysans retirent leurs slips et leurs chaussettes.
Gross fait un tas de
leurs vêtements, le jette dans un coin de la pièce.
« Maintenant
reprenons, déclare posément Herre. D’où tenez-vous ces armes ?
— On vous a dit la
vérité, monsieur », balbutie René.
Le capitaine Herre se
lève. Son ton change, sa voix siffle :
« Vous croyez que
vous allez vous foutre de ma gueule longtemps ? Vous allez me répondre, je
vous le garantis. »
Zeller l’interrompt d’un
geste :
« Allons, les gars,
un peu de courage. Je suis français comme vous. Vous vous êtes trompés de camp,
il est temps de reconnaître vos erreurs. On tiendra compte de votre bonne
volonté à votre procès : tout dépend du rapport que nous faisons. Parlez, c’est
notre intérêt à tous. »
Il s’est approché d’Henri
qui lui crache au visage.
Zeller recule, sort de
sa poche un mouchoir de soie immaculée et s’essuie ; il est livide. Par
contre l’incident semble avoir rendu sa bonne humeur à Herre qui sourit. Il
fait un signe à Gross et Munoz. Les deux voyous sortent de la pièce.
« Nous allons vous
faire parler, annonce le capitaine, je déplore ces méthodes, mais vous m’y
contraignez. »
Les deux hommes
reviennent porteurs d’un seau d’eau. À l’aide d’une fine cordelette, ils
entravent les chevilles, les poignets des prisonniers derrière leur dos, et l’infamie
commence.
L’un après l’autre, on
les fait tomber à genoux près du seau dans lequel leur tête est maintenue jusqu’à
la suffocation, et cela à quatre ou cinq reprises. Entre chaque immersion, ils
ont tout juste le temps d’absorber une bouffée d’air. Lorsque l’un d’eux est au
bord de l’évanouissement, suffocant, hoquetant, vomissant, il est jeté sur le
côté ; l’eau glacée est répandue sur son corps nu. Alors les bourreaux
retournent remplir le seau et passent à l’autre.
Les deux martyrs
tiennent dix heures. À plusieurs reprises leur mutisme de Bretons têtus a
exaspéré leurs tortionnaires qui les ont frappés sauvagement. Ils ont le visage
en sang, des dents cassées, les arcades éclatées, les yeux tuméfiés. Ils
grelottent.
À 4 heures, René, le
plus jeune, craque. Il est dans un état second, il parle. Contre la liberté de
ses membres, une couverture et un bol de vin chaud, il débite tout ce qu’il
sait entre deux hoquets : le camp de Saint-Marcel,
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