Raimond le Cathare
rude sœur dans le feu sanglant
des épées. Celle qui restera debout régnera sans partage. Et je suis sûr que
nous vaincrons.
— Voilà un sage et judicieux
conseil, conclut Simon de Montfort en quittant la réunion pour aller rejoindre
son fils.
Octobre 1217
L’azur et la lumière dorée de la fin
de l’été ont fait place à un ciel bas et à une pluie froide qui tombe sans
discontinuer. Depuis l’échec de Montfort et la blessure de Guiot, les Français
sont restés sur leurs positions.
Ils se consacrent à leur tour aux
travaux de charpente et de maçonnerie. Ils consolident leur camp comme pour édifier
un bourg nouveau. Les constructions s’étendent du château Narbonnais jusqu’à la
Garonne. La lisière de leur périmètre longe le rempart sud de Toulouse. Nos
avant-postes et les leurs sont face à face, à portée de pierre ou de flèche. De
part et d’autre les guetteurs surveillent attentivement les lignes adverses. La
nuit, ils échangent à voix basse les mots de passe avec la relève qui vient
prendre son tour de garde. Pas de vin, pas de chant, pas de jeux de dés pour
ces sentinelles qui gardent l’épée hors du fourreau. Face à une attaque
soudaine ils n’auront que le temps de donner l’alerte avant d’être assaillis.
C’est là que nous plaçons nos meilleurs combattants. La concentration et la
proximité des forces ennemies exigent une vigilance extrême. Partout ailleurs,
une simple garde suffit.
Montfort n’a pas réussi à nous
prendre d’assaut et il ne réussit pas davantage à nous assiéger. Avec les deux
mille hommes dont il dispose, il lui est impossible de cerner la ville. Il ne
peut déployer son armée, qui demeure groupée autour du château et du camp, pour
parer à toute sortie des nôtres. Placés là où ils sont les Français ne peuvent
même pas apercevoir les convois qui entrent au nord par les portes du Bourg ou
à l’est par le faubourg Saint-Cyprien sur la rive gauche.
Pendant la journée, les Toulousains
se divertissent de la fureur de Montfort vitupérant au bord du fleuve contre
les bateaux qui passent tranquillement sous ses yeux pour venir accoster au
port de la Daurade, au cœur de la Cité.
Exaspéré, il ordonne de
réquisitionner des barques dans les villages voisins. Guy de Lévis réussit à
ramener une dizaine d’embarcations confisquées à des pêcheurs des environs.
Amarrées à la rive, elles reçoivent un lourd armement Pataugeant dans la vase,
des hommes fixent des plaques de métal, dressent des abris percés de fentes
pour les archers, érigent une estrade pour y poster celui qui gouvernera.
— Ces bateaux vont naviguer
aussi bien que mon épée, plaisante Hugues d’Alfaro, qui observe avec moi les
préparatifs.
Nous sommes au bord de la Garonne,
sur la coursière de nos remparts, lorsque les Français poussent leurs navires
dans le fleuve. Chargés de chevaliers en armes et en cotte de mailles, ils
avancent lentement, lourdement enfoncés dans l’eau.
Les hommes de Montfort sont
d’excellents cavaliers et de solides piétons, mais ils n’entendent rien à la
navigation. Nos bateliers de la Garonne, au contraire, ne savent pas tenir
l’épée ou chevaucher un destrier, mais ils manient l’aviron avec dextérité. Ils
sont nés sur les bords du fleuve, ils ont vécu sur ses flots et ils en
connaissent tous les pièges. Ils attirent les embarcations de Montfort là où
les tourbillons sont les plus redoutables. Ils laissent l’ennemi approcher.
Épées brandies, les chevaliers se préparent à aborder mais ils peinent à
trouver leur équilibre et leur embarcation balance dangereusement. D’un coup
d’aviron porté au bon endroit, les bateliers font chavirer les guerriers. Leurs
bras tournent comme des ailes de moulin, ils cherchent appui les uns sur les
autres et basculent tous ensemble dans une gerbe d’éclaboussures. Lestés de
leur harnachement de fer, ils disparaissent aussitôt dans l’irrésistible
spirale des tourbillons.
Sur les quais de la Daurade, la
foule salue l’exploit par des éclats de rire. Les jours suivants, d’autres
expéditions semblables finiront toutes au fond de la Garonne. Des milliers de
Toulousains viennent assister à ces joutes comme à un divertissement quotidien
dont le dénouement est ponctué par des acclamations.
Après avoir perdu plusieurs dizaines
de chevaliers, Montfort renonce à ces tentatives. Le fleuve est à nous.
*
* *
Le soir, dans ma
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