Raimond le Cathare
se reconstituent peu à peu.
Mettant à profit le répit que nous
offre l’inaction des Français, les chevaliers posent l’épée et l’écu pour
manier la pioche et la pelle. Chaque jour qui se lève nous trouve plus nombreux
et mieux défendus.
Toulouse, lundi 9 octobre
Ce matin-là, les deux premières
sonneries de trompe sont suivies d’un long mugissement qui résonne comme une
plainte interminable. Cette fois le signal des guetteurs est accueilli dans un
silence pesant. Les Toulousains devinent que Simon de Montfort est en vue. Dans
la Maison commune, les chefs de guerre prennent le pas sur les ingénieurs.
— Messire Raimond, je vous en
prie, ordonnez l’arrêt des travaux ! supplie Hugues d’Alfaro. L’heure est
venue de prendre les armes. La ville est plus solidement fortifiée que jamais,
mais nous n’arrêterons pas les Français avec des marteaux et des clous. Pour
fortifier Toulouse, les guerriers se sont faits charpentiers. Pour la défendre,
les maçons doivent aujourd’hui se faire combattants.
— Que chacun prenne les armes
et que Dieu nous protège.
*
* *
À la tête de l’armée chevauchent
Simon de Montfort, Foulques et le cardinal Bertrand, le nouveau légat du pape
Honorius III. Ils peuvent déjà apercevoir les clochers de Saint-Sernin et
de Saint-Étienne. Les deux ecclésiastiques font leurs recommandations au chef
de guerre. Le cardinal-légat est confiant.
— Cet air matinal fleure bon la
victoire. Toulouse va tomber. Mais quand vous en serez le maître, il faudra
cette fois supplicier les comtes et pendre leurs barons.
Foulques consulte Bertrand sur le
sort qu’il conviendra de réserver à ceux qui se réfugieront dans les églises.
— Ne craignez pas de les
trucider tous. Dieu n’a pas souci d’eux. Je vous les abandonne.
Accompagné d’Alain de Roucy, Guy de
Montfort s’est porté à la rencontre de son frère, qui s’avance la rage aux
dents en découvrant Toulouse aussi bien fortifiée. Ayant mis pied à terre, les
deux hommes s’embrassent Simon s’emporte :
— Pourquoi n’avez-vous pas déjà
pendu ces traîtres, dévasté leurs maisons et incendié la ville ?
— Nous avons attaqué, mais ils
nous ont reçus de telle façon qu’il a fallu fuir.
— Vous devriez avoir
honte ! Moi, je vais aller décharger mes chariots et mes bêtes sur la
place du Marché au centre de la ville, proclame Simon de Montfort.
— Alors, vous risquez de ne pas
décharger avant Noël, grogne Alain de Roucy.
Afin de stimuler l’ardeur des
combattants, le légat Bertrand coiffe sa mitre, brandit sa crosse et prend la
parole pour accabler Toulouse de toutes les malédictions.
— Ce sont les braises de
l’enfer qui échauffent cette ville ! Elle se vautre dans les péchés. Si
vous voulez plaire à Dieu, brisez-la sans pitié, pillez-la, abattez ses
demeures et tuez sans quartier. Jusqu’au fond des églises et des hôpitaux,
massacrez ! Croyez l’homme saint que je suis : dans cette ville
folle, il n’y a pas d’innocent.
N’écoutant que sa fureur, Simon de
Montfort remonte en selle et déchaîne l’assaut.
Les Toulousains sont à leurs postes
de combat. Derrière les lices et les archères, sur les chemins de ronde, ils
bandent leurs arcs et arment leurs arbalètes. Dissimulés dans les chicanes, ils
empoignent les haches et les massues. Les femmes portent des seaux remplis de
flèches ou traînent vers les catapultes des panières pleines de pierres. Ce
sont elles qui actionnent les leviers déclenchant le tir des engins.
Avec Hugues d’Alfaro, nous montons
sur le clocher de Saint-Étienne. Nous voyons la vague des cavaliers déferler et
venir se briser à nos pieds sur les fortifications de la cité. Une nuée de
dards et de projectiles s’abat sur l’ennemi. Le combat s’engage corps à corps.
On lutte pied à pied jusqu’à la mort. Du haut des remparts du château
Narbonnais, les hommes de la garnison française décochent leurs traits sur les
Toulousains postés en contrebas. Nos ingénieurs ripostent en ajustant le tir de
leurs catapultes, dont les boulets viennent battre le mur et en ébrécher la
crête. Pour suivre la bataille de plus près, nous allons sur le chemin de ronde
de la porte Montoulieu.
Je ne sais depuis combien de temps
les hommes se battent, mais le carnage est effrayant.
— Messire Raimond ! Venez
voir.
Bernard de Comminges, la tête
couverte de son haubert de mailles,
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