Raimond le Cathare
m’invite à le rejoindre. Agenouillé
derrière une étroite ouverture, il tend une arbalète à son écuyer pour qu’il la
garnisse.
— Regardez : c’est Guiot
le très jeune mari de ma chère Pétronille. Je ne l’ai pas encore félicité.
Dans le pré devant nos remparts, le
fils de Simon de Montfort se démène courageusement. Son heaume est rehaussé
d’or et sa tunique porte les couleurs et le lion de sa famille. L’écuyer rend
au comte de Comminges son arbalète chargée d’un carreau à la pointe acérée.
Bernard ajuste soigneusement son tir avant de libérer le dard d’acier qui perce
de part en part la poitrine du jeune homme et le jette à bas de son cheval.
— À ta santé, mon gendre !
s’écrie Bernard de Comminges. C’est de la part du comté de Bigorre.
Plusieurs chevaliers français
sautent à terre pour emporter précipitamment le corps transpercé du fils de
l’usurpateur. Guy de Lévis galope aussitôt vers Montfort qui ferraille un peu
plus loin au côté d’Hugues de Lacy.
— Toulouse est pour vous une
terre de deuil. Votre fils est blessé.
Nul ne peut voir l’expression du
visage de Simon, masqué par l’acier du heaume. Après un bref silence il
ordonne :
— Il faut vaincre aujourd’hui.
— Mais nous sommes tous
rompus ! s’écrie Hugues de Lacy. Le tiers de notre troupe est déjà tombé.
Faut-il aller jusqu’au martyre ? Si nous nous obstinons, nous risquons le
massacre.
Le chef cède et ordonne le repli.
Les chevaliers français rompent le combat et refluent vers le château Narbonnais.
Sur les remparts, les Toulousains brandissent leurs armes vers le ciel en
hurlant leur joie.
— Vive la vie !
— La croix toulousaine a maté
le lion !
— Regardez-le, il s’enfuit en
vomissant ses tripes.
Dans la Maison commune, les poètes
et les troubadours chantent la victoire : « Honneur, Bravoure,
Droiture et Loyauté triomphent d’Orgueil, de Démesure et de Fourberie.
« Paratge » est restauré ! »
Ces artistes ne sont pas toujours
les plus vaillants au combat, mais le récit qu’ils en font donne aux autres de
l’ardeur.
— Ils ont laissé derrière eux,
étendus sur le champ, plus de cent cinquante chevaliers, a compté Hugues
d’Alfaro.
— Et nous ?
— Pas la moitié, messire. Et
toutes nos fortifications ont tenu bon.
— Grâce à Dieu. Car nous en
aurons encore besoin.
Les poètes, debout sur un banc de la
salle capitulaire, rivalisent de vers promettant au lion mille morts aussi
cruelles les unes que les autres.
*
* *
Montfort est au chevet de son fils
dans la pièce qui fut ma chambre au château Narbonnais. L’adolescent gémit de
douleur et tremble de fièvre. La flèche a percé le poumon et un filet de sang
coule de sa bouche. Son père est accablé.
— En une poignée d’heures ma
famille et ma troupe ont été décimées. Comment Dieu peut-il consentir à ma
perte ?
— Jésus n’aime pas ce qu’il
voit dans nos âmes, lui murmure à l’oreille Alain de Roucy. L’arrogance,
l’orgueil, le désir de puissance nous ont métamorphosés d’anges en serpents.
Les prélats et les guerriers se
réunissent dans la grande salle voûtée. Montfort les rejoint Foulques et le
légat le réconfortent.
— Vous reprendrez bientôt cette
ville maudite et vous n’y laisserez âme qui vive, assure le cardinal Bertrand.
— Si l’un d’entre vous
trépasse, n’ayez crainte, il sera reçu en pleine gloire au ciel, ajoute Foulques.
Alain de Roucy pointe son doigt sur
les hommes d’Église.
— Grand merci pour vos
promesses de béatitude. Vous êtes trop bons. Mais chacun sait que les biens des
défunts tombent dans votre poche. Que Dieu m’abandonne si je risque encore mon
sang !
Foucaud de Berzy et plusieurs
conseillers de Montfort proposent de temporiser.
— La ville regorge de
vaillance, nous avons éprouvé son courage. Ce serait folie que de l’attaquer à
nouveau. Pour les briser, nous devons accomplir un exploit fracassant dont on
parlera encore dans bien des siècles : construisons une cité, bâtissons
les plus grandes maisons jamais vues, faisons jaillir du sol des fortifications
et des remparts sans pareils. Peuplons cette ville de gens neufs, qui vous
prêteront serment, messire Montfort. Les hommes armés, les provisions de blé,
de viande et de vin, les étoffes nous viendront de partout. Ce sera la nouvelle
Toulouse. Un jour, elle affrontera sa vieille et
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