Raimond le Cathare
plusieurs vassaux de notre pays
pour leur dire de se préparer à nous rejoindre après Pâques.
En attendant, c’est surtout l’argent
qui manque. Les réparations des remparts, les matériaux de construction pour
nos ouvrages de défense, l’approvisionnement quotidien de la ville et les
distributions de vivres pour les combattants et les indigents ont vidé les
caisses. L’activité du commerce et de l’artisanat est en sommeil, tarissant
ainsi les sources de taxes.
— Si nous ne payons pas nos
fournisseurs, ils ne nous livreront plus, prévient Raimond de Ricaud.
— Et les soldats ? ajoute
Hugues d’Alfaro. Ils acceptent de patienter mais il faudra bien finir par leur
verser ce que nous leur devons. Et comment ferons-nous pour la solde des
renforts que nous commandons pour le printemps ?
— Et pour les nourrir ?
s’inquiète Raimond de Ricaud.
Le comte de Comminges
s’emporte :
— Montfort n’a pas réussi à
nous vaincre. Nous n’allons tout de même pas nous laisser assiéger par le
manque d’argent ! Prenons-le là où il est légitime de le prendre :
chez ceux qui ont failli. Ils méritent au moins cela !
Il est vrai que nous avons été d’une
grande indulgence envers ceux qui ont autrefois rejoint Montfort. Je l’ai voulu
ainsi afin de préserver l’unité de la ville. Seuls quelques-uns ont perdu la
vie le jour de mon retour, tués par une foule prise de délire. Depuis, l’ordre
est revenu et nul n’a été inquiété, ni malmené ni jugé.
L’heure est donc venue de leur faire
payer par la confiscation de leurs biens la défection dont ils se sont rendus
coupables. Devant le grand conseil réuni comme chaque semaine en l’église du
petit Saint-Sernin, je donne lecture d’une ordonnance :
— Les charges sont écrasantes.
Les consuls pourvoient au ravitaillement des chevaliers et des partisans venus
de l’extérieur et ils assument les autres dépenses de la ville. Moi, Raimond,
en mon nom et en celui de mon fils, autorise les consuls à opérer ventes,
liquidations et transactions de toutes sortes sur les biens meubles et
immeubles des Toulousains, hommes ou femmes, qui ont quitté jadis Toulouse pour
rejoindre Simon de Montfort et se mettre à son service ; de ceux qui ont
quitté Toulouse à mon retour sans mon autorisation ou celle des consuls ;
de ceux qui demeurent dans les châteaux et les villes tenues par Simon de
Montfort et les ennemis de Toulouse.
Il faut aussi débusquer les
fraudeurs dont la mauvaise volonté amoindrit les recettes et donne le mauvais
exemple :
— De ceux qui refusent de
s’acquitter des charges communes en prétextant qu’ils n’en ont pas les moyens,
alors qu’on connaît leur richesse.
Toulouse, mai 1218
Avec le printemps revient la saison
des périls. Les éclaireurs nous avaient alertés, mais nous pensions qu’ils
exagéraient leur récit pour se donner de l’importance. Or ils étaient en
dessous de la vérité : l’armée conduite par Alix et Foulques et que
Montfort vient accueillir au milieu de la plaine est impressionnante. La crête
des collines à l’est de Toulouse n’est qu’un fourmillement. Les unes après les
autres, les vagues de chevaliers s’avancent vers nous. Elles sont suivies par
des cohortes de piétons marchant d’un pas résolu. D’autres lignes de cavalerie
apparaissent, puis d’autres troupes de routiers. C’est un interminable défilé
devant nos murs.
Mis en garde par le son des trompes,
les Toulousains se sont massés sur les remparts. Plusieurs milliers de
combattants sont sortis pour constituer des groupes compacts devant chacune de
nos portes. On n’entend que le grondement sourd des cavaleries. Les Toulousains
serrent fermement leurs armes. Certains sont blêmes, d’autres lancent des
regards de flamme, mais tous sont silencieux devant ce fleuve humain qui coule
sous leurs yeux pendant plusieurs heures et sur lequel flottent les couleurs
des plus grands seigneurs du royaume. Nous voyons passer les emblèmes de
Saintonge, du Poitou, de l’Auvergne, de la Bourgogne, et les armes du
connétable de France.
Ils marchent en bon ordre, sans se
lancer dans des assauts intempestifs, pour faire devant nous une démonstration
de force. Cette croisade est aussi puissante que celle de 1209 dans laquelle
j’avais dû m’engager.
Montfort ne manque plus de
combattants, mais c’est le temps qui désormais lui est compté : l’armée de
renfort est là pour
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