Remède pour un charlatan
part, au plus profond de lui-même, il était convaincu de commettre la pire erreur de sa jeune vie s’il se rendait ce soir-là chez Marieta. Mais Hasan l’attendrait, confiant qu’il viendrait et lui permettrait ainsi de recouvrer la liberté. En fin de compte, Yusuf entra dans la bibliothèque, prit une plume et du papier et écrivit, du mieux qu’il put, un petit mot pour expliquer à Raquel où il se trouvait et pourquoi. Il réfléchit à ce qu’il allait en faire, et le posa sur son lit.
Ensuite, sans grand zèle, il chercha son maître et lui demanda la permission de souper tôt et de quitter le quartier juif pendant une heure ou deux. Afin d’aider un ami.
— Tu sembles hésiter à ce propos, Yusuf. S’agit-il de ton ami Hasan ?
— Oui, seigneur. Il doit faire quelque chose de compliqué ce soir, et avant même de vous demander votre permission, j’ai eu la sottise de lui promettre de l’aider.
— Dans ce cas, tu dois y aller. Il faut toujours tenir sa promesse.
— Oui, seigneur.
— Mais prends bien garde dans les rues. Les choses pourraient à nouveau mal tourner.
— Oui, seigneur, je ferai de mon mieux.
— C’est tout ce que je te demande.
Quand Yusuf franchit la poterne et entra dans la ville, ce fut dans un autre monde qu’il pénétra. Les rues étaient emplies de torches et des cris des vendeurs qui portaient des paniers de viande grillée, des noix grillées et toutes sortes d’autres mets savoureux. De chaque côté de la rivière, les musiciens se défiaient de toutes leurs forces comme si leur vie en dépendait. Les jeunes femmes encore célibataires se fondaient dans la foule, loin du regard de leurs mères ou de leurs tantes, et se mêlaient aux danses improvisées sur le pavé des rues. Yusuf profita de la confusion pour se glisser jusqu’à Sant Feliu sans se faire remarquer. Il suivit le chemin qui longeait la rivière et atteignit la porte de service de l’établissement de Marieta. Elle n’était pas verrouillée et il la poussa avec précaution. Les gonds étaient aussi silencieux que l’eau par une journée sans vent : quelqu’un avait eu la bonne idée de les graisser récemment.
De l’autre côté de la cour, une silhouette sombre se détachait dans l’encadrement de la porte.
— Où étais-tu passé ? murmura Hasan. Je croyais que tu n’allais pas venir.
— Mon maître avait besoin de moi, répondit Yusuf sur le même ton. Et il y a beaucoup de monde dans les rues. Où est le costume que je dois enfiler ?
— Il est sur mon dos, idiot ! lui lança son ami. Tu ne le vois donc pas ?
— Pas vraiment, avec toute cette lumière derrière toi. On peut entrer ?
— Il ne faut pas faire de bruit.
Hasan attrapa Yusuf par la main et lui fit franchir la porte. Il la referma presque complètement derrière eux avant d’écarter un rideau. Il y avait là un ensemble hétéroclite de paniers, de jarres à vin, de coussins et de braseros.
— Reste là, dit Hasan en poussant son ami dans le coin le plus sombre.
Puis il disparut.
Dans le lointain, Yusuf percevait des murmures, parfois ponctués de gros rires masculins auxquels répondaient de petits gloussements de femmes. Puis des pas rapides claquèrent sur le carrelage.
— Où est ce satané gamin ? dit une voix féminine, à deux pas de l’endroit où il se cachait.
Yusuf se tapit dans son coin pour se fondre dans l’ombre. Une main écarta le rideau pendant un bref instant avant de le laisser retomber. Les pas claquèrent à nouveau sur le sol, et Yusuf poussa un soupir de soulagement.
À travers le rideau, il vit approcher une lueur vacillante et se tapit à nouveau. Le rideau s’écarta encore une fois, et Hasan entra dans la petite réserve, une chandelle à la main. Yusuf réprima une envie de rire.
— Qu’est-ce que tu portes là ? demanda-t-il enfin.
— C’est le costume, fit Hasan. Enfile-le, mais fais bien attention, il coûte très cher et si tu le déchires, ils le remarqueront tout de suite.
Il planta sa chandelle dans un bougeoir crasseux qu’il posa sur un coffre en bois. Il leva les mains et ôta soigneusement son turban.
— Dès que j’aurais été trop grand pour le mettre, mon maître m’aurait vendu, parce que cela revient moins cher d’acheter un petit garçon que de refaire un costume. C’est ce qui est arrivé à mon prédécesseur. C’est pour ça qu’il faut que je m’en aille, tu comprends ?
Yusuf murmura quelque chose
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