Remède pour un charlatan
un autre. Je croyais qu’il y avait des filles.
— Il y en a, dit un troisième. Il y en a même une dehors qui vaut le coup d’attendre, crois-moi.
Le mage porta son regard sur le groupe indiscipliné et écarta les mains en un geste suppliant.
— Protégez-nous, ô Tout-Puissant, lança-t-il d’une voix forte, des esprits qui rôdent au milieu de nous !
Il fouilla dans sa manche et en sortit une substance qu’il répandit sur le brasero placé devant lui.
— Ainsi que de ceux qui planent sur nos têtes.
Il jeta encore un peu de poudre.
— De ceux qui nous entourent et de tous les autres ! cria-t-il d’une voix qui monta dans l’aigu.
Une fumée âcre s’éleva du brasero. À nouveau, il chercha dans sa manche et lança quelque chose sur les charbons.
— Vile racine de mandragore au pouvoir immense, hellébore magique et nourriture des démons, voilà ce que je vous offre ! Venez, esprits ! s’écria-t-il en levant les bras au ciel.
C’était le signal pour Yusuf. Il prit la jarre, trempa la cuiller dans la mixture et en arrosa généreusement chaque brasero. La fumée s’épaissit considérablement et les hommes se mirent à tousser, les yeux humides, et à grommeler des jurons. Yusuf déposa la dernière cuillerée dans le sixième brasero et se hâta de s’éloigner avant d’éternuer.
Dans l’autre salle, un tambour retentit, sur un rythme doux et insistant. Yusuf avait la tête qui tournait, et un conseil de Hasan lui revint en mémoire : « Hâte-toi, ne respire pas la fumée et ne mets pas trop de poudre. » Il n’avait rien fait de cela. De l’air frais, voilà ce qu’il lui fallait. Il écarta la tenture qui recouvrait la porte du fond et sursauta de terreur. Il se trouvait face à face avec un homme dont le corps déformé et le visage balafré auraient engendré l’horreur chez n’importe qui.
Il saisit Yusuf par le bras et le repoussa dans la pièce.
— Où est Romea ? siffla-t-il.
Yusuf haussa les épaules.
— Pauvre idiot !
Il leva la main pour lui tirer l’oreille, mais n’en fit rien.
— Pas le temps, murmura-t-il. Retourne au travail.
Sur ce, il disparut.
Le mage avait encore levé les bras. Le tambour reprenait après s’être arrêté un instant. Yusuf saisit le pot brun et, d’une démarche assurée, se hâta de rejoindre les participants. Cette fois-ci, il ne jeta qu’une demi-cuillerée de mixture sur les braises en évitant de respirer. Cependant, en arrivant devant le sixième homme, il se rendit compte, horrifié, qu’il avait utilisé toute la poudre.
Ensuite venait le vin. Il pouvait leur en donner… non, tout le monde s’en rendrait compte, s’il apportait des gobelets au lieu de continuer à jeter des herbes magiques dans le feu. C’est pourquoi, quand le tambour s’arrêta et que le mage leva une fois encore ses mains décharnées, Yusuf se hâta de plonger sa cuiller dans le pot vide et de faire semblant de saupoudrer les charbons rougis.
— Qu’est-ce que tu as ce soir ? dit le balafré qui était revenu.
Il l’attrapa par le bras et le secoua sans ménagement.
— Tu cours partout comme un chat. Tu sais où est Romea, c’est ça, hein ? Si tu l’as aidée à s’enfuir, je t’arrache du dos ta sale peau de Maure. Ne reste pas planté là, imbécile, va leur donner le vin ! Les filles attendent pour entrer.
D’une main tremblante, Yusuf versa du vin aux épices dans les six gobelets posés à côté de la jarre. Il les porta, deux par deux, en prenant garde de ne rien renverser. Dès qu’il eut tendu le dernier gobelet, il fonça vers la porte.
— Oh, pas question !
Le balafré était là. À nouveau, il l’attrapa par le bras.
— Tu vas rester pour rapporter les gobelets. Tu ne sortiras pas pour la prévenir. Ou pour sauver ta peau. Je ne bougerai pas de derrière cette tenture.
Le tambour se remit à jouer. Alors la voix du mage s’éleva pour hurler supplication ou menace. Il agita les mains au-dessus du brasero placé devant lui et Yusuf ferma très fort les yeux.
Même ainsi, l’éclair ne lui échappa pas. Quand il rouvrit les paupières, le rideau de la porte d’entrée était écarté. Trois filles vêtues d’étoffes légères qui couvraient à peine leur nudité pénétrèrent pieds nus dans le cercle ; trois autres entrèrent et s’agenouillèrent derrière elles. Toutes levèrent les bras comme si elles imploraient le mage, restant ainsi jusqu’à ce que les yeux
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