Remède pour un charlatan
genre d’affaires faites-vous pour interrompre ma sieste ? demanda-t-elle. J’ai travaillé tard hier soir, et je dois me lever tôt le matin pour préparer la journée. Je ne pensais pas être dérangée à l’heure du dîner, surtout le jour de ce bon Sant Narcis.
Un cri et un craquement sourd de l’autre côté de la porte lui firent froncer les sourcils et perturbèrent son air de douce piété.
— Des affaires fort profitables, maîtresse Marieta, dit sèchement Nicholau.
— De quel ordre ?
— Vous avez ici une jeune esclave, me semble-t-il. Une petite créature, à peine plus qu’une enfant, qui fait preuve de talent pour chanter et jouer de la flûte.
— J’ai ici plusieurs filles. La plupart sont libres et travaillent de leur plein gré.
— Elles ne m’intéressent pas. Celle-ci s’appelle Romea. Une mauvaise tête, m’a-t-on dit, ajouta-t-il avec un geste vague de la main. Une fille farouche dont vous ne pouvez rien tirer.
— Romea, fit Marieta d’un air pensif. On ne peut pas vraiment dire ça d’elle. C’est une fille de caractère, c’est vrai, mais son esprit lui donne de la valeur dans cet établissement.
— Comme vous le savez bien, il y a esprit, et il y a rébellion. Bien entendu, je ne fais que répéter ce que l’on m’a dit, mais je crois mes sources assez sûres.
Nicholau alla regarder par la fenêtre comme s’il craignait d’être en retard à un autre rendez-vous.
Marieta prit place sur une petite chaise sculptée comme si elle s’apprêtait à passer sa journée en vaines négociations.
— Quel pourrait être votre intérêt pour Romea ? Pourquoi voudriez-vous d’une fille qui, selon vous, ne peut être commandée qu’au fouet ?
Son regard avait quelque chose de déplaisant, et Yusuf frissonna.
— Mon intérêt ? Je n’en ai aucun, dit Nicholau en se retournant. Je suis un intermédiaire, rien de plus. Mais la personne que je représente pense qu’elle peut tirer quelque chose d’elle et envisage de l’acheter. Elle quitte la ville avant le coucher du soleil, de sorte que la transaction doit se faire avant cette heure.
— Je ne suis pas intéressée. Je pense gagner beaucoup d’argent avec elle. Pourquoi la vendrais-je ?
— Oui, pourquoi ? Vous l’avez cependant proposée à Sancho ce matin même. On m’a dit qu’il a refusé de payer le prix que vous exigiez pour une fille qu’il est impossible de dompter et qui, par conséquent, n’est utile à personne.
— C’est absurde. On vous aura mal informé. Je n’ai pas parlé à Sancho depuis l’été dernier, lors de sa dernière visite en ville.
— Allons, maîtresse Marieta, votre modestie m’étonne. Pensez-vous qu’on vous connaît si peu en ville ? Plusieurs personnes vous ont vue ce matin même sur le champ de foire en train de discuter avec Sancho.
— Je pouvais chercher à savoir ce qu’elle vaudrait sur le marché. On aime se renseigner sur la valeur de ses biens. Combien, par exemple, votre mandant offrirait-il pour une fille telle que Romea ? Une fille de grande beauté, très jeune et très malléable, douée à la flûte comme à la danse et pourvue d’une excellente voix ?
— Pour cette sauvageonne, même si elle chantait comme un ange, il vous donnerait deux pièces d’argent, dit Nicholau en annonçant la somme que Marieta avait demandée à Romea pour son rachat.
— Ridicule. Et que veut-il faire d’elle s’il la trouve aussi inutile ?
— Il achète des chevaux que personne n’a réussi à débourrer, mais lui-même y parvient. Il fait de même avec les esclaves, l’un après l’autre. Il est d’une grande patience. Cela l’amuse, et cela lui vaut un beau bénéfice quand vient le moment de le revendre.
Les joues de Marieta rosirent et Nicholau en eut la nausée. Lui-même était une douce personne, élevée par une mère tendre et aimante. Cela l’emplissait d’horreur qu’une femme, cette Marieta en l’occurrence, pût tirer du plaisir à l’idée de voir Romea dans les griffes d’un tel maître, aussi mythique fût-il.
— Je ne me séparerais pas d’un tel bijou pour au moins dix maravédis, dit-elle enfin. Elle m’est très chère.
— Nous parlons d’une enfant maigrichonne qui n’a pas la moindre éducation, rétorqua Nicholau avec froideur, pas de la favorite de l’émir.
Cela dura ainsi jusqu’à ce que Nicholau pose sur la table un tas de pièces bien plus lourd que ce que contenait le mouchoir
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