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Requiem pour Yves Saint Laurent

Requiem pour Yves Saint Laurent

Titel: Requiem pour Yves Saint Laurent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benaïm
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années quatre-vingt, elle avait trouvé des fouets pour Helmut Newton, et c’est avec la même exigence qu’elle chinait des coussins en soie pour une série de montres en or dans la gueule d’un tigre vivant. Il fallait être en noir ce jour-là pour ne pas énerver l’animal, son mari avait eu peur, pas elle. Elle n’avait pas de tabou. J’aimais sa gouaille, son culot, ses rires, qui détonnaient au milieu de toutes ces trentenaires frileuses et indifférentes à toute forme de contact charnel, qui les répugnait d’ailleurs plus que tout. Quand elles embrassaient, c’était à l’américaine. Sans
poser leurs lèvres sur vos joues. Mais en tendant leur visage, les yeux pointés sur la scène suivante et qui voulait dire «  Next  ».

    Yves Saint Laurent avait habillé les scandaleuses, celles qui portaient des pantalons interdits dans de nombreuses entreprises, elles se voulaient femmes, avant d’être mères. Leurs filles se savaient plus vulnérables. Ce qu’elles redoutaient avant tout, ce n’était pas d’être enceinte, mais de ne plus pouvoir l’être. Insémination artificielle, fécondation in vitro, injection intracytoplasmique de spermatozoïdes, chacune luttait contre l’infertilité, une bataille dont on ne dira jamais assez ce qu’elle suppose de force, de courage pour affronter les questions des amis des beaux-parents : « Toujours pas de bébé ? » La réponse était encore plus triviale : « On s’y met. » L’amour physique redevenait un devoir conjugal, dépossédé de tout élan par cette réalité physiologique sans appel. A la pression familiale et sociale s’ajoutait toute une série de menaces dues à une grossesse tardive : fausse couche, diabète
gestationnel, malformations fœtales, retard de croissance ou prématurité de l’enfant.
    En dehors des jours « fertiles », elles n’avaient plus de sexualité. Le malentendu s’installerait pour longtemps. Lui, il avait passé sa vie à parler d’amour, à dire aux femmes, si vous n’avez personne, alors je suis là. C’est pour cela que tous les homosexuels l’adoraient, il avait élevé les maudites en héroïnes, toujours au bord de la rencontre, du danger, de l’adieu, du coup de foudre, il habillait de beauté ces chagrins dont il savaient qu’ils étaient sans fin. Ces histoires de fleur bleue, il en avait fait des robes, une déclaration aussi irréductible aux notes studieuses des historiens en gants blancs qu’au jugement des hommes : « Le sentiment, c’est le petit ménage des femmes, comme ces boîtes où elles rangent un tas de fils et de rubans, et toute espèce de boutons, et des baleines de corsets 8 . »
    Il y avait comme un décalage entre la folie d’un homme et l’Yves Saint Laurent tombé dans le domaine public, tout ce que les magazines de mode célébreraient avec plus ou moins de bonheur, le style masculin féminin,
les transparences, les mélanges « jour et nuit », un pull sur une robe du soir.
    Les Anglo-Saxons disaient : «  Very YSL !!  » On vit débarquer sur les podiums une armée de clones de Verushka : imprimés jungle, souliers de corde, robes bleu aquarius age pour des fêtes afro à Porto Cervo ou aux Bahamas. Sur le thème style & leisure , les périples transsahariens de la mode ressemblaient davantage à une invitation lancée par des tour-opérateurs. C’était ce qui marchait. Les gens n’avaient qu’une envie : foutre le camp dans des luxueuses villas, paradis grillagés avec spa et butler vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

    Mais les fantômes revenaient sur scène.
    C’étaient des photos, des rencontres, des mots, des lieux.
    Yves Saint Laurent parti, il vous collait au ventre, et à la peau. A New York, où un magnat de la peluche avait fait décorer sa suite penthouse au cinquante-deuxième étage du Park Hyatt, d’un plafonnier de Claude Lalanne. La chambre était tout en marqueterie de paille. Dans la salle de bains, le lavabo avait été taillé
dans du cristal de roche. A Berlin, Yves Saint Laurent semblait traverser les miroirs. On le retrouvait, aux dîners, sur la Kantstrasse, photographié par Juergen Teller. Autour de June Newton, ce soir-là, il hantait les conversations.
    A Milan, lors d’une exposition consacrée à Richard Avedon, je retrouvai le premier manifeste d’Yves Saint Laurent. La robe de Dovima et les éléphants, photographiée au cirque Bouglione. Première belle parmi les bêtes. Un Y drapé sur

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