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Requiem pour Yves Saint Laurent

Requiem pour Yves Saint Laurent

Titel: Requiem pour Yves Saint Laurent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benaïm
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riches » avait fait irruption au Bristol, lors d’un raid baguette-camembert. Tout avait été mené dans les règles de l’art : réservation, sitting , puis déballage assez médiatisé, caméras filmant la rixe avec un service d’ordre musclé. C’est là, dans ce jardin intérieur balisé de porte-miroirs à treilles néo-dix-huitième, que j’avais déjeuné, une semaine plus tôt, avec un ex-trader qui m’expliquait autour d’un poisson vapeur son envie de monter un fonds d’investissement dans « le développement durable ». Il y avait des mots, comme ça, qui mettaient tout le monde d’accord : le premier d’entre tous, c’était bien sûr la paix, et le rêve d’un monde sans frontières, mais pas standardisé. La paix, la paix ! J’avais envie de leur dire à tous : les pacifistes, et Hitler vous connaissez, 1939 ça ne vous rappelle rien ? Non, ils étaient là, avec leurs drapeaux et leurs vidéos, la paix, c’était un vecteur de communication magique, on faisait fabriquer en Chine des petits foulards
avec le mot paix, on invitait une star à fêter en chœur « un jour pour la paix », et des journalistes sensibles à cet engagement faisaient des papiers, des radios s’en mêlaient, le tour était joué, ceux qui n’applaudissaient pas l’initiative étaient des blasés, des aigris, insensibles à tous les enjeux de la nouvelle ère qui se dessinait devant eux. Ensemble, changeons le monde !
    Dans les salons parisiens, des mots revenaient, de la même manière qu’étaient revenus sur les tables les légumes oubliés, potimarron, topinambours, vendus à prix d’or sur les étals de Joël Thiébault au marché de l’Alma. On parlait de jacqueries, de révoltes paysannes. La crise s’enracinait dans les campagnes. La douce France voyait rouge. Jamais les relations entre les individus n’avaient été aussi tendues. Les héros faisaient du hors-piste.
    La tension était au maximum. Chez un coiffeur parisien, une actrice engagée dans la défense des sans-abri en vint presque aux mains avec une cliente blonde et millionnaire, maîtresse d’un financier stratège que les liquidations avaient tristement rendu célèbre. Le couple, qui vivait entre Londres et Genève,
venait d’acquérir un château, et expulsait une à une les familles RMistes en mobile home auxquelles la propriétaire précédente, acculée de dettes, avait laissé une sorte de passe-droit. « Les salauds ! »
    La mode découvrait le monde merveilleux des LAR (lettre recommandée avec accusé de réception), et autres CRP (convention de reclassement personnalisée). Envoi des demandes de reclassement, entretiens préalables, remise de la convention de CRP, information de la DDTEFP (Direction départementale du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle sur le licenciement). « Je vais encore me taper un Prudhomme ! » Pardessus de cachemire sable et cheveux grisonnants, Paul G., directeur d’une agence de communication, était un sosie de Villepin. Il partageait avec l’ancien ministre, comme avec certaines anciennes hôtesses d’Air France, cette conscience un peu figée et affable de son rang. De sa voix nasale, il me raconta ses derniers déboires avec une salariée qui avait envoyé un mail au client (Montblanc), pour demander le nom et le prix du Meisterstück, le stylo vedette de la marque à
l’étoile blanche. Furieux, il avait décidé de la licencier pour faute grave. Le jour de l’entretien, elle se présenta avec un délégué syndical qui lui lança : « Meister quoi ? Mais bon sang c’est un stylo ! » Paul G. lui rétorqua : « Et que diriez-vous si chez Renault, on ne savait pas la différence entre une Smart et une Safrane ? » Il se savait piégé, mais avec le temps, il avait appris à ne plus « prendre ça sur soi ». Ce week-end, il partait chasser en Sologne, et d’ailleurs, notre conversation s’arrêta, car son rendez-vous venait d’arriver, une brunette aux joues en pomme d’amour.
    Un jour à la sortie d’un dîner de presse, j’entendis : « Ah les juifs, on ne peut plus rien dire maintenant sur eux, on se fait taxer tout de suite d’antisémite. » On disait « Sentier » pour ne pas dire juif. Dans les magazines, comme dans les agences de pub, les clients « tunes », qu’on pouvait se permettre de mépriser hier, avaient pris une importance soudaine, ils ne s’étonnaient plus d’être invités dans les dîners

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