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Requiem pour Yves Saint Laurent

Requiem pour Yves Saint Laurent

Titel: Requiem pour Yves Saint Laurent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benaïm
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bataille commençait quelques semaines avant le défilé. Envoyer le save the date , proposer des interviews, et surtout « targetter Cannes ». Les cartes du jeu avaient changé, les nouvelles reines, c’étaient les stylistes des stars, beaucoup d’Américaines, comme la très blonde Rachel Zoe. Courtisée par les marques, elle avait son propre reality show , on la voyait s’extasier en direct, au milieu de centaines de robes : «  I’m dying !  » Quelque chose avait basculé. On était loin, très loin, de l’époque où Paris Match annonçait en avant-première la robe dessinée pour Catherine Deneuve par Yves Saint Laurent pour la montée des marches. Le secret bien gardé rappelait celui qui entoure encore les préparatifs de la mariée.
    On redoutait le jour où le rideau tomberait définitivement. « C’est à travers la création qu’il se désinhibait. Arrêter la haute couture, c’était à la fois un soulagement et un suicide. Il savait qu’il avait signé son arrêt de mort », confie un intime. « On continuera à vous étonner. Qui sait ? Mademoiselle Chanel a bien recommencé à soixante et onze ans. » C’est ce qu’il m’avait dit, en janvier 2002. Le château de l’avenue Marceau se tenait en retrait du
triangle d’or. Dans un salon situé à droite de l’accueil, des broches de cristal de roche et des colliers de corail se lovaient sur de fines étoles de pashmina aux couleurs de pierres précieuses. C’était la boutique « couture ». Des cadeaux partaient dans une camionnette noire pour être livrés à des dames de la République. Monsieur Jean-Pierre essayait une veste sur Catherine Deneuve. L’atmosphère était bon enfant. L’héroïne de Belle de Jour parlait de ses poules, mangées par des renards.

    J’ai vu Yves Saint Laurent pour la dernière fois le 15 mai 2007, lors du vernissage de l’exposition consacrée à Nan Kempner, à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent. Lui qui n’avait jamais voté de sa vie, avait trouvé le moyen de se faire faire une carte d’électeur pour voter Sarkozy aux présidentielles. En juin 2006, il était allé applaudir Robbie Williams au Parc des Princes, se glissant parmi les fans pour écouter le héros d’ Escapology et d’ Intensive Care . Le bad boy britannique n’avait pas encore sorti son dernier opus, Reality Killed the Video Star … Un
mois plus tôt, Yves Saint Laurent admirait au Zénith les déhanchés langoureux et la voix suave de Ricky Martin, ce chanteur portoricain dont il adorait l’allure très latin lover. Il portait des chemises italiennes, il s’était acheté des duffle-coats de toutes les couleurs. Il aimait dîner au Relais, au Mathis et manger des glaces à la Closerie des Lilas. Il donnait de généreux pourboires aux serveurs, quelques billets de cent euros froissés dans ses longues mains. Il continuait à parler en anciens francs. C’était un prince sans cour qui, à table, donnait en douce du caviar à son bouledogue français. « Moujik, mon fils, tu es mon roi ! » La terre était sèche sous ses pas. A Tanger, la villa Mabrouka (la villa de la chance), qu’il s’était offerte avec Pierre Bergé en 1998, restait vide. Plusieurs jardiniers entretenaient le jardin perché au-dessus de la mer, les cinq chambres avaient vue sur le détroit de Gibraltar. En dix ans, il n’y était venu que huit fois, toujours en août, pour échapper au ciel plombé de la Normandie à la fin de l’été. Mais Tanger n’était pas aussi accueillante que Marrakech aux remparts protecteurs.
    Yves Saint Laurent ressemblait déjà à un revenant, tout en lui était un autre, rien pourtant ne semblait avoir changé, fidèle à celui qu’Hector Bianciotti – qui l’avait interviewé en 1986 – avait décrit en 2002 : « Derrière ses lunettes, un regard perplexe ; dans ses manières, la politesse extrême de celui qui reste là, devant vous, par devoir, mais dégageant un sentiment d’une infinie solitude, que rendait pour ainsi dire monacale la nudité de la pièce 1 . »
    Yves Saint Laurent vous tenait la main, mais il ne regardait que ses robes. « Nan n’avait pas le goût cliente, me dit-il en riant, elle osait. » Les modèles, notamment ceux de la collection « Libération », se tenaient là, avec cette assurance qui faisait défaut aux invités, courbés par l’âge, une main sur leur canne, mais le regard toujours vif et curieux. Il n’y avait qu’un seul

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