Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Requiem pour Yves Saint Laurent

Requiem pour Yves Saint Laurent

Titel: Requiem pour Yves Saint Laurent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benaïm
Vom Netzwerk:
Tout brillait en Loulou, présence de feu que le siècle n’avait pas consumée.
    Loulou me servit du champagne dans un verre à vin à pied. J’aimais sa manière de dire « encombrements » pour parler des embou
teillages, avec cette voix lente et amusée. J’imaginais que Tanger lui semblait plus proche que la Rive Droite. J’aimais sa manière de se composer un personnage comme on invente un rôle pour éviter l’ennui, et tout ce qu’elle jugeait « assommant ». Elle monta « se remettre du rouge » avant le déjeuner. Thadée restait là, avec cette valise, qu’il devait apporter à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent. Le temps s’arrondissait encore comme la place d’un village, à l’heure de la sieste. Thadée partirait donc plus tard. J’avais l’impression d’être dans un tableau de Balthus.
    Loulou ne twittait pas, ne chattait pas. Son bureau était à la maison. Sa maison dans son bureau. Dans ses pots à bonbons remplis de rubans de satin, comme dans ces pierres éparpillées sur les étagères, ces bracelets marocains, et ces zinzins de bazar, je retrouvais un peu de l’esprit Rive Gauche, dont elle avait été l’incarnation absolue. Un bout de satin, une étole, un cabochon et tout scintillait dans sa main. Elle avait ce pouvoir-là, appliquant à la mode ce qu’évoque Jean-Francois Zygel à propos de la musique : « Quand on improvise, il
faut être à la fois à son affaire et ailleurs, comme dédoublé. Il faut guider, conduire, construire au moment même où l’on joue… »
    A soixante-deux ans, Loulou adorait sortir, s’amuser… Elle était sans doute la même, quarante ans et des poussières plus tôt, lorsqu’à Marrakech, loin des barricades et du Paris kermesse de Mai 68, elle jouait les Salammbô dans la maison du serpent, achetée par Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, au cœur de la médina. Sauf que nous vivions un Mai 68 à l’envers. L’utopie s’était consumée.

    Boss snappings, braquages, le feu était partout, dans les usines, les universités, la rue. Aux infos, on ne parlait que de credit crunch et de faillites. Plus de mille par mois au Japon, où les cadres jugés moins compétitifs étaient envoyés en stage de remotivation, vivant pendant deux semaines à quatorze dans un dortoir, dépouillés de tout bien personnel, pour réapprendre, à force d’entraînement et d’humiliation, les bases du « P & L » ( profit and loss ). A New York, les soldes « agressifs » de Saks en pleine saison avaient brouillé les
pistes et mis beaucoup de présidents sur la sellette. « Les Etats-Unis sont en train de devenir un pays pauvre… » C’est avec ce genre de phrase que les Parisiens se rassuraient, certes en proie à un léger déséquilibre : « Tu en connais, toi, des gens touchés par la crise ? »
    Au Ritz, une dir com m’expliquait qu’elle avait changé ses habitudes. N’achetait plus le « portant entier » chez Bonpoint. Allait plutôt chez Bonton. Et trouvait que l’urgence du « nécessaire » l’avait comme « nettoyée ». Au restaurant le Saut du Loup, l’épouse d’un magnat de l’écolo-business engagé dans le commerce équitable, me confia devant son café gourmand : « En général, on part un mois au bout du monde. Mais là, les valoches, j’en ai marre. Et pourquoi dépenser tout ce CO 2  ? Je suis mieux chez moi. »
    Depuis la faillite de la banque Lehman Brothers, toute une époque avait volé en éclats, emportant avec elle son cortège de waiting lists , d’artistes de vernissages, et de it bags . Les botox parties à LA, arrosées de verres de Chardonnay, avaient cédé la place à des
soirées « anticrise », où il était interdit de parler d’autre chose que du bonheur.
    Les médias-planneurs ne planaient plus. Ils craignaient pour leur emploi. Les chasseurs de tête licenciaient. Quand on osait leur parler de personnes « d’expérience », l’aigreur se répandait, plus insidieuse : « C’est une excellente professionnelle. Elle a toujours ce problème d’alcool ? » Les mots flottaient, Cac 40, Bourse, Madoff, grippe H 1 N 1 comme des déchets sur l’eau polluée par le doute et l’attente. A Paris, lors d’un déjeuner de presse joaillerie «  access  », les convives durent partager leur entrée à deux. Du jamais-vu. On rognait sur tout. Les macarons, les déjeuners, le coiffeur, les clientes huppées préférant désormais les salons où, « pour

Weitere Kostenlose Bücher