Requiem pour Yves Saint Laurent
l’ombre que sous les feux de l’actualité. François-Marie Banier et Liliane Bettencourt, parmi les premières clientes de la maison de couture, en 1962. Dans les carnets de commande, toute l’histoire de ses quarante années de création défilait encore, on trouvait, à côté de ceux de Nan Kempner, Hélène Rochas, Elsa Schiaparelli, ou la duchesse de Windsor, un homme, et pas n’importe lequel : Mick Jagger, le « voisin » de la rue de Babylone, qui, en 1971, avait commandé des modèles de la collection 40, comme ce renard blanc livré à l’hôtel des Beaux-Arts. Son appartement, situé deux étages au-dessus de celui d’Yves Saint Laurent, avait été entièrement insonorisé.
Le duplex de 700 m 2 d’Yves Saint Laurent avait été mis en vente 20 millions d’euros. Nicolas et Carla Sarkozy l’avaient revisité, mais on chuchotait que le président n’avait pas forcément de « sympathy for the Devil ». La saga n’était pas finie, elle se poursuivrait dans l’espoir de tous les matins neufs du monde, mais aussi dans tout l’avenir qu’Yves Saint
Laurent avait offert à ceux qui regarderaient le ciel, la mer, les corps dansant sous le soleil, un amour plus infini que toutes les leçons et toutes les peines. A Alber Elbaz, à Marc Jacobs, le directeur artistique de Louis Vuitton, qui jouait brillamment avec tous les codes, doué de cette irrévérence qui les renforçait encore, capable de transformer d’une manière assez pragmatique une image en un produit « icône ». « Je suis tombé amoureux de Paris », devait-il dire rue de Valois, lors de sa remise des insignes de chevalier des Arts et des Lettres, en janvier 2010.
Un jour, avenue Marceau, je m’étais retrouvée entre Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, chacun me tirant par le bras. « Vous viendrez déjeuner chez moi, Laurence… » J’étais comme électrisée par deux courants contraires qui n’en formaient qu’un. Chez Pierre Bergé, je me souviens avoir mangé des légumes, parce qu’il pensait que j’étais végétarienne. Et chez Yves Saint Laurent, une omelette norvégienne, un dessert de palace ou d’ambassade digne d’une parure servie sur un
gigantesque plat en argent, une pâte à succès fondant sous de la meringue française ornée de quelques fruits fantaisie. On dit que la recette a été inventée par un Américain. Yves Saint Laurent est parti, comme on part en voyage. Même ses proches affirment encore que c’était un joueur, un truqueur. « Il calculait tout. Rien n’était laissé au hasard. Il avait toujours des hauts et des bas, mais agissait toujours dans la maîtrise… » Si c’était un comédien, il avait cru à son rôle, plus qu’à tout. Son histoire est celle d’un hérétique croyant. Comme le magicien de Lublin, il a joué, dansé entre les ombres et les fantômes, et toutes les femmes l’attendaient. C’était un funambule inspiré. « Esclave de ses passions, il s’était jeté dans un filet qui s’était resserré sur lui », écrivait Singer à propos de Yasha. Autour d’Yves Saint Laurent, bien des mystères demeurent. Et j’aime les effleurer, en feuilletant l’album de la Vilaine Lulu , dédicacé – lors de sa réimpression en version XL – par Monsieur : « Pour ma Laurence, pour s’amuser un peu en pensant à Moi... Avec toute ma tendresse. Yves ».
Epilogue
Alléluia
29 janvier 2010. « Ecrivain de quoi ? » me demande le tamponneur de passeports. « De mode. » En arrivant à l’aéroport de Marrakech-Menara, j’ai l’impression d’être sous la jupe de Madame Matisse. Le ciel forme une coupole parfaite, d’un bleu dur et froid. La foule bariolée des années Saint Laurent s’est comme dispersée le long du boulevard Mohammed VI, long de douze kilomètres, ou de la route de Fez, flanquée de dizaines de villas-kasbahs à vendre, que colorent ici et là les néons saphir des stations-service Afriquia. Riche de ses luxueux ryads – négociés jusqu’à trois millions d’euros –, la Palmeraie est devenue une sorte de petite Californie berbère climatisée, l’éden du standing cinq-étoiles avec briwattes au caviar, massages au sable du
Sahara, expéditions dans le désert en avion privé. Au loin, les montagnes roses de l’Atlas semblent dessinées en trois D sur un écran plasma. « Soyez les bienvenus » nous dit le chauffeur qui nous rappelle que le Jardin Majorelle n’abrite pas une maison d’hôtes. Sur sa
Weitere Kostenlose Bücher