Requiem pour Yves Saint Laurent
toutes formes, de toutes tailles, comme autant de tiges, qui me rappellent, fugacement, les dessins érotiques de Jean Cocteau, ce livre blanc réédité par Pierre Bergé dans les années quatre-vingt. Une danse inassouvie de la nature comme l’allégorie du désir masculin.
Me voici arrivée dans la Villa Oasis, sur je ne sais quel tapis volant. J’ai honte d’être venue en baskets. Un mur est vide. Il manque la laque de Dunand, en restauration à Paris. Et quelques pompons de passementerie qu’affectionnait Yves Saint Laurent. Mais tout est là. Le Dufy, les sabres d’argent, les coussins en kilim, les têtes mauresques aux mille colliers
d’ambre et de corail. Les zelliges et les stucs, la cheminée redessinée d’après celle de la maison du Serpent, des trois, celle où il fut sans doute le plus heureux. Tout ce qui survit, dans la lumière et le travail de ces hommes attentifs à entretenir ce lieu. Si l’antre de la rue de Babylone impressionnait par la quantité des chefs-d’œuvre accumulés, cette maison est bien plus qu’un mausolée. On y devine, comme dans la Frick Collection de New York, l’atelier de Gustave Moreau à Paris, la maison Bialik à Tel-Aviv, l’âme de ceux qui y ont conversé en silence avec la beauté. Yves Saint Laurent, mais également Majorelle, le peintre errant avec lequel il avait sans doute tant d’affinités. Un artiste dont la notoriété reste liée à une œuvre encore plus « traître » que la mode, cette villa, ce jardin qu’il faut entretenir, pour qu’ils ne meurent jamais d’abandon. Dans cette maison, j’entends, comme devant le spectacle mélangé du rare et de l’art populaire, l’écho du style Rive Gauche, les cafetans rustiques rebrodés, les cordelières ceinturant les blouses roumaines.
Rien n’a changé, même si tout a changé. Les métamorphoses subtiles du lieu relèvent d’une exigence haute couture. Une fontaine a été complètement refaite, mais rien, aucune trace visible, ne démarque l’ancien du neuf, pas plus que l’original de la copie, à commencer par les stucs et les zelliges refaits par Bill Willis d’après les originaux de Majorelle, comme d’authentiques et imperceptibles doublures. Yves Saint Laurent n’aimait déjeuner qu’à l’intérieur, dans sa salle à manger. Un petit kiosque a été construit, pour profiter de la douceur des soleils d’hiver, à midi.
Du temps d’Yves Saint Laurent, on ouvrait la petite fenêtre, située au bout de son jardin particulier. Sa manière de saluer. De dire « je suis là ». La roseraie est en travaux. Des bacs de terre attendent la floraison du printemps. On dit que la Villa Oasis ne devrait plus être ouverte que sur rendez-vous, à quelques visiteurs choisis. On parle également de l’inauguration d’une rue Yves Saint Laurent à Marrakech par le Wally pour le deuxième anniversaire de sa mort, en juin 2010. A
Paris, les riverains de la rue Léonce-Reynaud ont refusé qu’on change le nom de leur artère, prétextant l’ennui causé, entre autres, par la paperasserie, les en-têtes à changer, etc.
Un an et demi s’est écoulé depuis la mort d’Yves Saint Laurent. Les chercheurs admettent qu’on a encore beaucoup de mal à comprendre le passage du temps. Un an et demi déjà, un an et demi seulement ? Tout a passé très vite et très lentement, sans doute à cause de la crise, des restrictions, qui ont tétanisé les désirs et refroidi les cartes de crédit. On ne sait plus trop bien. Tout repart à toute allure. L’orgie de dépenses est à la hauteur des frustrations accumulées, de peur d’une nouvelle dépression. Un magnum de champagne Krug vient de triompher à la une du New York Times . Les bonnes affaires fleurissent à nouveau. Les mêmes qui hier traquaient la start-up , se dépêchent d’acquérir des maisons au bord de la saisie, de prendre des parts à moindre coût dans des sociétés en menace de banqueroute. Au sentiment de « fin du monde » qui a paralysé les dépenses en 2009, succède le temps de la fébrilité qu’éprouvent tous les convalescents. On
dépense à nouveau, avec une peur d’hypocondriaque en cavale. On « claque » donc, mais plus de la même façon. La seule chose, c’est qu’on ne s’en vante plus.
Entre les diamants papillons et les abeilles joaillières de la place Vendôme, la haute couture décline ses pastels en boucle, comme autant d’avances polies à la « femme distinguée », dont la
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