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Requiem pour Yves Saint Laurent

Requiem pour Yves Saint Laurent

Titel: Requiem pour Yves Saint Laurent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benaïm
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L’expérience humaine marquait ses nouveaux rendez-vous avec l’Histoire. A l’auditorium de LVMH, Pierre Cardin expliquait comment, premier d’atelier, il avait réalisé le tailleur Bar de Christian Dior, et entre autres, le costume de lion imaginé pour un bal Beaumont. Un lion ? Derrière le masque, on aurait pu reconnaître Yves Saint Laurent. Les fantômes se dédoublaient. Il fallait renaître. Il fallait se reconstruire, tout reconstruire, sur des bases classiques, qui passeraient un nouvelle fois, encore et toujours par le sens de l’observation, du trait, de la construction, ce sens du fini et du parfait dont parlait Dior, mais qui avait déserté la France, faute de projet, de valorisation de tous les métiers dits manuels. De Chanel à Hermès, les grandes maisons étaient des écoles. Une génération ne demandait qu’à éclore. Mais c’étaient aux maîtres d’assumer les honneurs du temps, et non plus de les esquiver, en formant, en transmettant, en acceptant l’idée qu’un avenir puisse exister après eux. Tous aimaient ce métier à la folie. Ils avaient en
commun cette passion que le compte à rebours d’une collection révélait sous toutes les coutures. A contre-courant des dégaineurs de recettes, des toy boys et des imposteurs du goût unique, tous savaient que le rêve serait une promesse pour ce monde de colère et d’oubli :

    « Car sur la muraille lézardée des nuages, venait de ses dessiner un magnifique arc-en-ciel, et il portait leurs larmes jusqu’à Rachel, leur mère, dans les sept couleurs de sa lumière 11 . »

    Survint le choc de ce 11 février 2010. A Londres, le suicide d’Alexander McQueen, trois ans après celui de sa muse, Isabella Blow. « Il a choisi la liberté suprême », affirmait Karl Lagerfeld au Figaro . Yves Saint Laurent redoutait les oiseaux. Ceux d’Alexander McQueen, s’élançaient, les ailes de paradis plombées dans leur envol par des fers à talon. Leur mouvement semblait prendre fin, dans ces chaussures construites comme des prisons moyenâgeuses. Les cheveux d’enfant s’entortillaient dans les cornes du diable. God save McQueen.
L’histoire d’un fils de taxi londonien promu directeur artistique de Givenchy, puis créateur d’une griffe à son nom, dans l’écurie PPR. Il avait quarante ans. Lui, le Leigh Bowery de la mode encombré par ce physique de boucher cockney qu’il avait, en dix ans, tenté de modeler, de gentryfier, de lisser, comme on déplume un vautour, son animal favori. Pour en faire jaillir toute l’épouvante, dans ce défilé de l’automne-hiver 2009 aux bouches sanguinolentes de lipstick. McQueen dont les défilés spectaculaires avaient aimanté les fascinations d’une époque comblée de tout, mais privée de l’essentiel, cette capacité à rêver, qu’il allait chercher au tréfonds de lui-même, du côté de ses paradis artificiels comme de ses terreurs nocturnes. Et d’une incroyable rigueur héritée de sa formation de tailleur à Savile Row, chez Gieves & Hawkes, quand il glissait des messages punks dans la doublure des vestes de traders. Mais la lame du coupeur s’était retournée contre lui. A la veille des défilés du printemps-été 2010, et du sien, annoncé pour le 9 mars à Paris, sa mort écorchait le monde de la mode, comme le cri de Tippi Hedren dans Les Oiseaux d’Hitchcock. Sa mère venait de mourir, quelques jours plus tôt. Le cri d’Alexander McQueen s’ajoutait à tous les autres, dans ce deuil douloureux qui pose à tous les garçons dont les enfants sont les collections, et les amies, des miroirs, la question d’entre toutes : à quoi sert de vivre, si l’on n’est plus un fils ? l’élu ? le fils unique du monde ?

    La mère de Pierre Bergé avait 102 ans. Celle d’Yves Saint Laurent, 96 ans. « Je veux que vous gardiez d’elle l’image de celle que vous avez connue », m’avait dit Brigitte, la sœur d’Yves. Lucienne ne reconnaissait plus personne. « Parler d’elle c’est comme extraire de mon coeur une substance qui me fait mal », m’avait écrit un jour Yves Saint Laurent. Le temps s’effilochait sous un soleil que les astrophysiciens disaient aussi un peu malade. Yves Saint Laurent n’avait jamais enfermé les femmes dans son propre désespoir. C’était un alchimiste.
    Ses robes n’étaient que des promesses de bonheur. Les gardiennes d’un temple, d’une histoire encore si obsédante, brillant autant
dans la nudité de

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