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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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envisagé d’évoquer le livre du professeur de Bâle, cette histoire de Grecs copulant à qui mieux mieux, mais pour finir, il avait préféré s’en abstenir. Ici, les raisonnements complexes ne rapportaient que des ennuis. Il ne savait que trop bien qu’il devait sa position actuelle au talent qu’il avait pour exprimer et habiller en termes plaisants ce qui traversait la tête du patron, c’est-à-dire presque toujours des âneries.
    Bien entendu, il l’avait rassuré. La grâce du Seigneur, lui avait-il promis, brillerait également au-dessus de Son Altesse. Une relégation dans les sables incandescents du troisième cercle de l’enfer était absolument exclue. En outre, avait-il ajouté, on pouvait toujours contrer ce danger de manière efficace par des prières sincères, ce sur quoi le patron, soulagé, avait fait ouvrir une nouvelle bouteille de champagne pendant que lui-même prenait congé avec une profonde révérence. Depuis quelques jours, il s’était rendu compte qu’il méprisait de toute son âme cet homme qui, au départ, lui avait inspiré un certain respect.
    Il avait ensuite passé la journée à déambuler dans Venise, sans but précis, de nouveau habité par le sentiment de se promener dans les coulisses d’un théâtre. La ville procurait-elle aussi en dehors du carnaval ce sentiment grisant que tout était permis ?
    Dans les cafés où il était entré, il avait côtoyé une foule de jeunes beautés appétissantes qui ne demandaient qu’à être dévorées. C’est pourquoi il n’était pas surprenant que la bête au fond de lui se fût manifestée à deux reprises ou, pour le dire autrement, qu’il eût dû par deux fois se cacher en hâte le visage derrière son journal pour dissimuler une expression de convoitise sanguinaire pendant qu’il poussait un rugissement bruyant.
    Malgré tout, il avait bien compris la bête. La jeune Anglaise qui avait pris place à la table voisine au Café oriental – de plus en plus de femmes sortaient seules – était blonde, et elle avait les yeux verts. Leurs regards s’étaient croisés à plusieurs reprises avant qu’il fût obligé de se dissimuler derrière la Gazzetta di Venezia . Jeune beauté numéro deux avait acheté un cornet de marrons chauds sur la place Saint-Marc. Ils avaient même engagé la conversation, jusqu’à ce qu’il fût contraint de s’interrompre au milieu d’une phrase et de détourner la tête. Plus tard, il s’était bercé du rêve absurde qu’il bavardait plus longuement avec elle et l’entraînait dans un coin sombre de la basilique où il passait à l’action.
    Il n’avait pourtant rien à regretter. Cette rencontre n’aurait donné lieu qu’à un plaisir rapide et, au fond, il n’aimait pas l’improvisation. Non seulement parce que quelqu’un pouvait toujours surgir au mauvais moment, mais aussi et surtout parce que cela allait à l’encontre de son sens de l’ordre. L’économie est fille de l’ordre et de l’assiduité . Une banale maxime, sans doute, mais il se l’était prescrite malgré lui. Il détestait les bureaux mal rangés, les valises mal faites et – tout à coup, le patron lui revint à l’esprit – le champagne au petit déjeuner. Il préférait le travail soigné, voilà tout.
    C’était ce qui lui plaisait dans le rendez-vous de ce soir-là. Pour une fois, il allait pouvoir se laisser le temps. Ce ne serait pas un coup à la sauvette comme dans le train, pas une opération précipitée comme dans la gondole. Non, cette fois, il pourrait s’accorder un rythme lent, un paisible adagio cantabile . Le mot d’ordre de la soirée était la tranquillité. Ils bavarderaient un peu, boiraient un verre, s’approcheraient de la fenêtre et, si le ciel le permettait, ils contempleraient les étoiles côte à côte. « Les zétoiles, mon Dieu, regardez les zétoiles », lui dirait-il. Parfois, il avait le sentiment que la bête au fond de lui avait la fibre romantique. Qu’un cœur tendre se cachait à l’intérieur d’une coquille dure.
     
    Il était presque sept heures quand il poussa la porte de la pension Seguso , non sans avoir revêtu son loup noir. Il s’était attendu à un établissement sordide, à un réceptionniste avachi, une cigarette au bec et une bouteille de grappa devant lui. Or, au lieu de cela, il se retrouva dans le hall d’une pension de famille bourgeoise, face à un réceptionniste qui donnait l’impression de condamner la consommation de

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