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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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aucun signe de vie. Elle avait dû se retirer dans son antre où elle devait dormir du sommeil du juste. Il s’allongea donc avec précaution sur le côté gauche du lit, bâilla et ferma les yeux. Cinq minutes plus tard, il dormait à poings fermés.

20
    Ignaz Zuckerkandl, fabricant de scalpels, déjà assez ivre, leva la main pour commander une nouvelle grappa. Il était assis dans un café crasseux, buvait dans un verre crasseux et, quand il fermait les yeux, imaginait un lit crasseux aux draps maculés. Il se demandait dans quelle histoire il s’était embarqué.
    La pension Seguso était proche du café. Les deux établissements se trouvaient sur les Zattere, la longue promenade sur les quais de la rive sud à Dorsoduro. De jour, on aurait vu la façade de l’église du Rédempteur de l’autre côté du canal de la Giudecca. Mais dans l’obscurité, on ne distinguait guère que quelques lumières blafardes. Il était passé plusieurs fois devant la pension, mine de rien, et en était arrivé à la conclusion qu’il s’agissait d’une maison de passe, tant elle s’efforçait de ne pas en avoir l’air. La petite marquise au-dessus de l’entrée et la plaque en laiton poli lui conféraient presque une respectabilité bourgeoise. Cela étant, on n’aurait jamais dit non plus que la femme avec laquelle il avait rendez-vous se livrait à une telle activité. Rien dans cette ville n’était ce qu’il paraissait. Et lui, d’ailleurs ? Avant de sortir de l’hôtel, il avait jeté un dernier coup d’œil dans le miroir et s’était trouvé une allure de lion fringant. Quelle vaste plaisanterie !
    De nouveau, il consulta sa montre. Il faisait ce geste toutes les trois minutes. Encore une petite demi-heure. Comme il n’avait pas l’intention d’être ponctuel, il quitterait le café à neuf heures et quelques. Cinq minutes plus tard, il traverserait le hall de la pension et monterait dans la chambre. Là, il taperait à la porte et appuierait sur la poignée. La suite était dans les mains de Dieu.
    Pour se mettre dans l’ambiance, il avait acheté dans l’après-midi une série de photographies artistiques. Sur la place Saint-Marc, on vous proposait ce genre de clichés avec le même naturel que des graines pour les pigeons. Une fois de retour dans sa chambre d’hôtel, il les avait contemplées longuement, sans pourtant ressentir la moindre excitation. Les petites images sur lesquelles des jeunes femmes dénudées grattaient de la mandoline, jouaient des castagnettes ou s’alanguissaient sur des sofas moelleux étaient tout bonnement ridicules. Pour se calmer, il avait fini par déambuler sans but à travers la ville jusqu’au moment où il s’était assis dans ce café, très en avance sur l’horaire.
    Quand les cloches des Gesuati eurent sonné neuf heures, il se leva et régla. Il ne se sentait pas très bien ; il avait les jambes aussi lourdes et aussi raides que s’il portait des chaussures de plomb. Avant de quitter le café, il éprouva le désir irrationnel qu’un événement quelconque l’empêche de passer à l’action . Un raz de marée soudain, un incendie à la pension Seguso , la chute d’un météore. Hélas, quand il fut dehors et qu’il eut mis son loup, il ne se passa rien.
    Il fut surpris de constater que la pension sauvait les apparences jusque dans le hall. Ici, pas de lampes à pétrole aux abat-jour rouges, pas de nus sur les murs, pas de souteneurs en train de jouer aux cartes. En dehors du réceptionniste derrière le comptoir, il n’aperçut qu’un couple assis face à face en silence, attendant selon toute vraisemblance que sa chambre se libère. L’homme semblait approcher l’âge de la retraite et la femme, qu’il avait dû ramasser pendant le carnaval, n’était pas non plus de première jeunesse. Ce vieux pervers poussait l’amour du détail jusqu’à tenir un Baedeker à la main pour mieux se camoufler. Un observateur naïf aurait pu les prendre pour un couple marié, mais à d’autres !
    Lorsqu’il annonça le numéro de la chambre, le réceptionniste parut contrarié, puis, la mine indifférente, il l’envoya au premier étage.
    Arrivé à la porte, Zuckerkandl fut surpris par le calme qu’il ressentait tout à coup. Son pouls demeurait lent, son visage sous le loup ne brûlait pas, il était froid comme un poisson. Était-ce ce qu’on ressentait sur l’échafaud ? Les gens étaient-ils froids comme des poissons juste avant que le

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