Retour à l'Ouest
autonomes… En Ukraine, comme en Russie blanche, comme en Géorgie, comme
au Turkestan, comme en Mongolie-Bouriate, comme en Mongolie indépendante, des
coupes sombres annuelles ont décimé la jeunesse, les milieux intellectuels, la
bureaucratie même pour vaincre le sentiment national. Depuis que le dynamisme
révolutionnaire et l’initiative socialiste ont fait place au totalitarisme
bureaucratique, c’est-à-dire à de nouvelles méthodes d’exploitation de l’homme,
les Grands-Russiens ou Russes proprement dits ne sont plus les représentants
dans la fédération soviétique – qui n’est plus du reste une fédération et n’est
plus soviétique puisqu’elle ne comporte plus de Soviets – de l’initiative et de
l’organisation prolétariennes, mais bien ceux d’un État centralisé, militaire
et policier ; et pour cet État, les peuples arriérés aux points de vue
industriel et scientifique, sont des victimes vouées à une exploitation
particulièrement dure. Sur un autre plan, les forces armées de cet État, au
lieu de servir à la défense des travailleurs du pays et d’être employées au
service d’une politique inspirée par l’intérêt général des travailleurs de tous
les pays, servent aujourd’hui à élargir les frontières de l’État totalitaire, à
imposer son joug à des petits peuples voisins, à faciliter au nouvel
impérialisme allemand de sanglantes conquêtes… Il s’agit bien d’une action
impérialiste, selon la signification classique du mot, et non révolutionnaire, et
non libératrice.
Le succès vient de couronner cette action dans la mer
Baltique, mais la Turquie a confirmé par un pacte signé le 19 octobre à Ankara,
ses accords précédents avec l’Angleterre et la France. Les Dardanelles, clef de
la mer Noire, échappent ainsi au contrôle de la Russie.
On pouvait prévoir ce cours des choses. J’écrivais récemment
dans l’
Intransigeant
que « la
Turquie n’a pas à redouter une pression trop forte de l’URSS ; elle compte
quelque vingt millions d’alliés naturels, Musulmans, entre la Volga et le Pamir.
Staline ne peut en aucun cas s’offrir le luxe d’un conflit avec Ankara. Les
desseins qu’il pourrait nourrir en ce qui concerne un accroissement éventuel d’influence
en Iran et une politique active en Asie centrale lui commandent au contraire de
rechercher l’amitié même soupçonneuse de la Turquie ». Les vingt millions
de Musulmans de l’URSS sont répartis entre la Crimée, république tartare de la
Volga (autre république tartare dans la région de Kazan), le Caucase, le nord
de la Caspienne, le Turkestan divisé en plusieurs républiques turques : Kazakhstan,
Turkménistan, Ouzbékistan, Tadjikistan. Au Caucase, les Turcs forment la
république fédérée de l’Azerbaïdjan, dont la capitale, Bakou, est le centre de
l’industrie soviétique du pétrole ; en Asie centrale, ils possèdent les
régions où l’on cultive le coton et les steppes les plus riches en bétail ;
c’est dire qu’ils occupent des positions économiques de première importance. Or,
la dictature stalinienne, en imposant la collectivisation de l’agriculture et
de l’élevage, les a, il y a peu d’années, voués à une misère profonde, poussés
à des révoltes désespérées ; par la suite, en 1936-1938, elle a fusillé
plusieurs relèves successives de fonctionnaires dirigeants de ces républiques
nationales : elle a beaucoup fait en un mot pour creuser entre elle et les
peuples musulmans de l’Union un fossé qui pourrait, en cas de crise, devenir un
abîme… Elle le sait ; et c’est pour cette raison qu’elle se gardera bien, tout
en faisant pression sur la Turquie, d’ouvrir avec celle-ci un conflit. En dépit
du rapport des forces économiques et militaires qui pourrait laisser croire le
contraire, le gouvernement d’Ankara a l’avantage sur celui de Moscou ; il
peut garder les clefs des Dardanelles. Il les garde.
Problèmes de la Mer Noire II – Les Bouches du Danube
5 novembre 1939
La Russie ne craint rient tant que l’installation d’une
grande puissance rivale aux Dardanelles, portes de la Mer Noire. Une grande
partie de son commerce extérieur, toutes els exportations et les importations
de l’Ukraine et du Caucase, blés, minerais et houille du Donetz, métaux de la
sidérurgie, manganèse et pétroles du Caucase passent par les ports de Batoum et
Touapsé, ou aboutissent des pipe-lines, Novorossiisk, Odessa. La
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