Retour à Soledad
mouillés dans l'avant-port.
– Ligne élégante mais guerrière, constata Charles.
– Ils sont faits d'épaisses tôles d'acier rivetées, mesurent près de deux cents pieds de long et vingt de large. Leur tirant d'eau est de huit pieds et leurs machines les propulsent à plus de quinze nœuds. Aucun confort à bord, mais quatre cales étanches. Place à la cargaison et au charbon du pays de Galles, dont la combustion produit peu de fumée ! Quant à leur maniabilité, elle est confondante. Ces lévriers des mers, comme les appellent les ouvriers des chantiers de la Mersey et de la Clyde, peuvent porter mille balles de coton. Achetées à huit ou dix cents la livre à Charleston, celles-ci sont revendues à quarante ou cinquante cents la livre à Nassau. Ce qui fait qu'une seule cargaison – la balle de Caroline 2 pesant quatre cent soixante livres – vaut quarante-six mille dollars à Nassau et cinq fois plus en arrivant à Liverpool ! calcula l'officier, plus admiratif qu'envieux.
Ce ne fut pas sans difficultés, atermoiements et palabres avec les employés de la commanderie du port que Tilloy obtint le droit d'accoster près de l'entrepôt des douanes.
Entre navires fatigués et lévriers des mers neufs, l' Arawak , coque blanche, cheminée bleue, frise dorée à l'étrave, tête d'Indien en figure de proue, lisses d'acajou et hublots sertis de cuivre à reflets d'or, faisait figure de yacht aristocratique.
– Ce n'est pas le Phoenix , trois-mâts royal, mais c'est tout de même un beau bateau, malgré sa cheminée fumante et ce parfum composite d'huile chaude et de charbon, dit Charles.
Descendu sur le quai avec Tilloy, il considérait le vapeur qu'ils venaient de quitter.
– Cette odeur, Charles, est celle, particulière, de l' Arawak . Comme toute femme a sa propre odeur – celle, unique, qu'exhale sa peau sous le parfum dont elle use et qui, sur la peau d'une autre, libérera des effluves différents –, chaque navire a la sienne propre, qu'un marin ne saurait confondre avec celle d'aucun autre bateau. Je suis attaché à l' Arawak comme je ne l'ai jamais été à une femme. Maintenant, je connais tout de lui : les vibrations de ses pales, ses essoufflements, ses ruades, sa façon de jouer à saute-mouton sur la lame. Nous nous entendons bien. Dire que lord Simon veut le peindre en gris ! soupira Tilloy tandis que les deux amis s'éloignait du bateau pour se diriger vers le bureau des douanes.
Les formalités terminées et les pompes aspirantes chargées à bord, ils se rendirent au Royal Victoria Hotel, comptant y trouver Malcolm Murray. Le hall de l'hôtel et ses jardins leur parurent aussi encombrés d'hommes et de femmes que le port de bateaux.
L'architecte étant absent, Tilloy donna pour consigne au concierge d'informer l'honorable Malcolm Murray qu'il était attendu au bar, dès son retour, tous les fauteuils et guéridons du hall étant occupés.
– Par saint George, il est aussi difficile d'obtenir un verre de jus d'ananas qu'un mouillage au port ! lança Mark au barman qu'il connaissait de longue date.
– Et c'est comme ça tous les jours, captain . Et le soir, tous les restaurants, même les nouveaux qui viennent d'ouvrir, parce qu'on ne savait plus où donner à manger à nos visiteurs, sont pleins de gens aux poches emplies de livres ou de dollars. Jamais les affaires n'ont marché comme ça à Nassau !
Prévenu par le concierge, Murray apparut alors que ses amis venaient de passer du jus de fruits au pink gin . Tous deux remarquèrent au premier regard, sur les traits de l'Anglais, une gravité inhabituelle.
– Vous connaissez la nouvelle, je suppose ? jeta ce dernier sans préambule.
– Quelle nouvelle ? Nous débarquons, dit Charles.
– New Orleans est tombée, le 25 avril, aux mains des Nordistes. La flotte de l'amiral Farragut et l'armée du général Benjamin Franklin Butler ont pris la ville, pratiquement sans combat, et remontent le Mississippi. Leurs objectifs seraient Port Hudson et Vicksburg, deux forteresses tenues par les Sudistes, dit-il.
– C'est une dure défaite pour les Confédérés, reconnut Tilloy.
– La fermeture du meilleur port du golfe et le bouclage des bouches du Mississippi, par où entraient une bonne part des armes et des fournitures de l'armée sudiste, précisa Murray d'un ton las.
– Et cela vous ennuie beaucoup ? s'étonna
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