Révolution française Tome 2
acquittés ! Il faut remplir les
prisons si l’on veut mettre « les têtes à la fenêtre » de la Sainte
Guillotine. Elle ne doit pas rester ses bras de bois vides, comme un arbre sans
fruit planté place de la Révolution.
Enfin, capitulant devant les revendications des
sans-culottes, le 17 septembre, la Convention vote la loi des suspects.
Maintenant que le couperet de cette loi est tombé, plus
aucun citoyen n’est en « sûreté ».
Chacun le sait, le sent, le voit. On peut sur un soupçon, une
dénonciation, devenir un suspect, car la loi est si générale dans ses termes
que l’envieux, le jaloux, le voisin mécontent, peut vous faire basculer dans la
catégorie des « gens réputés suspects ».
Ce sont, dit la loi, « ceux qui soit par leur conduite,
soit par leurs relations, soit par leurs propos ou par leurs écrits se sont
montrés partisans de la tyrannie, du fédéralisme et ennemis de la liberté ».
Ce sont « ceux qui n’auraient pas justifié de l’acquit
de leurs devoirs civiques ou obtenu leurs certificats de civisme ».
Ce sont « ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris,
femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœurs et agents d’émigrés qui n’ont
pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution ».
Ce sont « tous les émigrés à dater du 1 er juillet 1789 »…
Et ce sont les comités de surveillance qui « sont
chargés de dresser, chacun dans son arrondissement, la liste des gens suspects,
de décerner contre eux les mandats d’arrêt et de faire apposer les scellés sur
leurs papiers ».
Où sont les juges, les tribunaux impartiaux ?
Il faut devenir gris, invisible, se faire oublier, et cela
ne suffit pas. Il faut manifester son adhésion à cette loi, à tout ce que les
comités de surveillance décident.
Et puisque le 21 septembre la Convention a décidé que toutes
les femmes devront porter la cocarde tricolore, il faudra l’arborer.
« Hier et avant-hier il y a eu quelques démêlés au
sujet de l’arrêté qui ordonne aux femmes de porter la cocarde. Dans quelques
quartiers celles qui n’y avaient pas encore obéi ont été honnies, décoiffées, fouettées,
etc. Les citoyennes s’empressent de se décorer de ce signe sacré de liberté, et
nous ne doutons pas que l’ingénieuse élégance de nos petites maîtresses n’en fasse
bientôt un objet de coquetterie. »
Des rixes se produisent entre femmes.
« Les femmes des sociétés révolutionnaires voulaient
forcer toutes les femmes de Paris à porter des bonnets rouges, après cela, des
habits de laine. Les femmes de la Halle s’y sont opposées et il y a eu des
batteries sérieuses entre elles… Les femmes de la Huile ont demandé que tous
les clubs de femmes soient supprimés… Le mercredi 30 octobre, l’Assemblée a
décrété et il est défendu aux femmes de s’assembler en sociétés populaires sous
quelque dénomination que ce soit. Ainsi voilà les clubs de femmes supprimés. »
Les députés ont décidé. Et ils vont débattre de cette
affaire de cocarde.
L’un dit que toute femme qui ne la porte pas doit être
traitée en contre-révolutionnaire, et donc en suspecte.
L’autre fait remarquer qu’une femme peut avoir perdu sa
cocarde ou oublié d’en mettre une, « ce n’est pas là un crime ! ».
Mais il y a des femmes royalistes, « cette branche de
contre-révolutionnaires peut beaucoup sur l’opinion ». Il faut « l’atteindre ».
Alors on vote : la première fois qu’une femme sera
trouvée sans cocarde, elle sera punie de huit jours de clôture ; la
seconde fois, regardée comme suspecte et enfermée jusqu’à la paix.
Ainsi la peur de devenir suspect taraude la plupart des
citoyens. On tente de devancer les soupçons en se montrant plus patriote encore
que les sectionnaires.
Les artistes de l’Opéra s’en vont quérir le commissaire de
police, « indignés de ce qu’il existe encore dans leurs archives des
objets ayant trait à la royauté et au régime féodal. Ils ont brûlé en face de
la salle de l’Opéra une immense quantité de papiers, parmi lesquels étaient les
règlements de ce spectacle intitulé : “Académie royale de musique” »…
Et sur la place de Grève, quelques jours plus tard, on a
brûlé la garde-robe de Louis Capet, consistant en un chapeau, plusieurs habits,
redingotes, vestes et culottes de diverses étoffes. Les chemises ont été
conservées : on a
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