Robin
que je me trouverais là. Vous saviez que
je n’arriverais pas seul à sortir de ces bois. » Il ne l’accusait pas de
lui avoir jeté un sort, mais l’idée lui avait traversé l’esprit. « Vous
saviez, et pourtant vous m’avez laissé partir.
— C’était ta décision. J’ai
dit que je ne t’en empêcherais pas. »
Il secoua la tête en souriant.
« Je suis un imbécile, Angharad, nous le savons tous les deux. Mais vous
auriez quand même pu me dire comment sortir d’ici.
— Oh, sans doute, convint-elle
gaiement, mais tu ne me l’as pas demandé. » Devenant soudain sérieuse,
elle lui adressa un regard troublant de franchise. « Que désires-tu,
Bran ? » Leur repas terminé, il était temps une fois encore de
repartir. « Que comptes-tu faire ? »
Bran considéra la vieille femme
devant lui ; elle était peut-être ridée et voûtée, mais elle savait se
montrer aussi roublarde qu’une litée de belettes. Dans sa bouche, la question
signifiait davantage qu’elle ne le semblait. Il hésita, conscient de toute
l’importance de sa réponse.
Que pouvait-il lui dire ?
Malgré sa toute nouvelle appréciation de la forêt, il savait que les Ffreincs
le tueraient à vue. Chercher refuge parmi les parents de sa mère demeurait un
bon plan. Au cours des mois qu’il avait partagés avec Angharad, rien de mieux
ne lui était venu à l’esprit, et c’était toujours le cas à présent. « Je
vais rejoindre mon peuple. » Ses paroles tombèrent sur le sol comme un
aveu de défaite.
« Si c’est ce que tu
souhaites, concéda la vieille femme d’aussi bonne grâce que Bran pouvait
l’espérer, suis-moi, je te conduirai là où tu pourras les trouver. »
Après avoir ramassé les restes du
repas, Angharad se mit en route, suivie par Bran et, un peu en arrière, par le
petit Gwion Bach et son chien bondissant. Ils marchèrent d’un pas tranquille le
long d’une piste à peine discernable qu’Angharad arpentait pourtant sans peine.
Au bout d’un moment, Bran remarqua que les arbres devenaient plus grands, et
que l’espace qui les séparait se rétrécissait. Le soleil se résuma bientôt à
une simple lueur dorée dans la dense canopée feuillue au-dessus de leurs têtes.
La piste devint plus molle sous leurs pieds, véritable tapis de mousse et de
feuilles humides. L’air lui-même se fit plus dense, s’emplissant de senteurs de
terre, d’eau et de bois pourri. Ici et là, Bran entendait les minuscules
bruissements des créatures qui vivaient dans les recoins ombragés. Partout,
autour de ce rocher, de l’autre côté de ce buisson de houx, au-delà du mur pourpre
des hêtres, il percevait le son de l’eau qui s’écoulait des branches, tombant goutte
à goutte vers des destinations invisibles.
Le matin passa. Quand ils firent
halte pour se reposer et boire à un ruisseau pas plus large qu’une main
d’homme, Angharad distribua des poignées de noisettes puisées dans son sac.
« Une belle journée », fit remarquer Bran. Il devait la vie à la
vieille femme, et s’il entendait se séparer d’elle en bons termes, il voulait
aussi qu’elle comprenne pourquoi il lui fallait partir. « Une belle
journée pour commencer un voyage, ajouta-t-il.
— Oui, répondit-elle, en
effet. » Bien qu’amicale, sa repartie ne lui fournissait pas l’ouverture
souhaitée : il ne parvenait décidément pas à trouver un moyen d’aborder le
sujet. Il se réfugia dans le silence, et ils poursuivirent leur route toujours
plus profondément dans la forêt. Plus ils progressaient, et plus les bois
devenaient sombres, sauvages et anciens. Les arbres les plus petits –
hêtres, bouleaux ou aubépines – laissaient place aux seigneurs de la
forêt : charmes, platanes et ormes. Leurs énormes troncs s’élevaient comme
autant de piliers depuis le sol jusqu’à d’extraordinaires branches, qui
formaient un plafond de ramures entrelacées. On devait pouvoir, imagina Bran,
traverser cette partie de la forêt sans même poser le pied par terre.
Les ombres grandissaient à mesure
de leur progression, et les bois qui les entouraient se faisaient plus
silencieux, un silence à la fois paisible et légèrement menaçant, comme si la
solitude des bois hésitait à leur autoriser le passage.
Cela aiguisait les sens de Bran. Il
imaginait des yeux braqués sur lui, qui l’observaient, qui scrutaient son
passage. Cette impression grandit à chaque pas jusqu’à ce que, n’y tenant
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