Robin
servir un seigneur étranger. Il assumait
depuis le rôle de second d’Iwan. « De Braose possède des centaines de
chevaux. Nous lui en enverrons un millier », dit-il, de plus en plus
exubérant. Il considéra quelques instants ses paroles, puis les rectifia :
« Tous les guerriers n’auront pas besoin d’un cheval, remarquez. Pour sûr,
nous aurons également besoin de fantassins. »
Bran trouvait risible le simple
fait d’imaginer qu’on puisse dénicher tant d’hommes et de chevaux. Même s’ils
parvenaient d’une manière ou d’une autre à réunir un tel nombre de combattants,
équiper une armée de cette taille leur prendrait au moins une année – et
il faudrait les loger et les nourrir dans l’intervalle. C’était absurde, et
Bran plaignait ses amis d’entretenir pareils espoirs pathétiques. Les Bretons
en seraient peut-être quittes pour une petite frayeur, mais cela restait voué à
l’échec. Les Ffreincs étaient élevés pour se battre, ils étaient mieux armés,
mieux entraînés que quiconque, et pouvaient compter sur les meilleures
montures. Les attaquer directement ne les mènerait qu’au désastre et chaque mort
bretonne pousserait les envahisseurs à resserrer leur emprise sur ces terres et
intensifierait leur oppression sur les populations locales. Imaginer autre
chose était pure folie.
Écouter Iwan et Siarles ne fit que
renforcer sa conviction : son avenir l’attendait au nord, parmi la famille
de sa mère. L’Elfael était perdu – il l’avait été à l’instant même où son
père avait été terrassé – et il n’y avait rien qu’il pût faire pour
changer cela. Mieux valait accepter cette sinistre réalité et rester en vie que
mourir en poursuivant une glorieuse illusion.
Il regarda tristement les deux
hommes qui lui faisaient face ; la lumière du feu illuminait leur visage
passionné. Ils brûlaient du désir de bouter l’ennemi hors de la vallée et de
sauver leur patrie. Et pourquoi s’arrêter là ? se dit-il. Ils
pourraient aussi bien espérer reconquérir le Cymru, l’Angleterre et l’Écosse,
pour ce que ça leur apporterait. Incapable de supporter plus longtemps le
vain espoir que leurs expressions enthousiastes laissaient transparaître, Bran
se releva tout à coup et quitta la hutte.
Il demeura un moment sous le clair
de lune à se laisser bercer par la fraîcheur de l’air nocturne, jusqu’à ce
qu’il finisse par se rendre compte qu’il n’était pas seul. Angharad se tenait
assise sur une souche à proximité de la porte. « Ils n’ont rien d’autre,
dit-elle. Et nulle part où aller.
— Ce qu’ils veulent…»,
commença Bran, avant de s’interrompre. Avaient-ils la moindre idée du temps et
de l’argent nécessaires pour lever une armée susceptible d’accomplir ce qu’Iwan
suggérait ? « C’est impossible, finit-il par déclarer. Ils se font
des illusions.
— Dans ce cas tu dois le leur
dire. Maintenant. Explique-leur pourquoi ils ont tort de vouloir ce qu’ils
veulent. Ensuite, tu pourras te prévaloir d’avoir fait tout ce que tu
pouvais. »
Ses paroles l’ébranlèrent.
« Qu’attendez-vous de moi, Angharad ? » Il parlait à voix basse,
de sorte que ceux qui se trouvaient dans la hutte ne l’entendent pas. « Ce
qu’ils proposent est pure folie, vous le savez aussi bien que moi.
— Peut-être, admit-elle. Mais
ils n’ont rien d’autre. Ils n’ont pas de famille au nord qui attend de les
accueillir. L’Elfael est tout ce qu’ils ont. Tout ce qu’ils connaissent. S’ils
font fausse route, c’est à toi de le leur dire.
— C’est ce que je vais faire,
dit Bran en se redressant. Finissons-en. » Il retourna dans la hutte, et
reprit sa place devant le feu.
« Nous pourrions aller voir le
seigneur Rhys dans le sud, disait Iwan. Il est revenu d’Irlande avec une
importante armée. Si nous parvenions à le convaincre de nous aider, il pourrait
nous prêter les troupes dont nous avons besoin.
— Non, dit calmement Bran. Il
n’y a aucun butin à récupérer, et nous n’avons rien à leur offrir. Le roi Rhys
ap Tewdwr ne se laissera pas entraîner pour rien dans une nouvelle
guerre ; il a déjà suffisamment de problèmes comme ça.
— Qu’est-ce que tu
proposes ? demanda Iwan. Tu vois quelqu’un d’autre ? »
Bran fixa les yeux de son ami, qui
brillaient toujours d’un feu intérieur. Il ne pouvait pas se résoudre à moucher
cette flamme fragile. Angharad avait
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