Robin
de bouger, raides de peur. Aethelfrith découvrit alors ce qu’ils
avaient vu : l’insaisissable forme noire qui ne cessait de se fondre dans
les ombres pour mieux s’en arracher. Au même moment, deux silhouettes vêtues de
vert sortirent des bois derrière les porchers. Prenant soin de rester
dissimulés derrière le hêtre aux branches tombantes, elles isolèrent en hâte
huit porcs du reste du troupeau au moyen de deux courts bâtons et les
emmenèrent dans les bois.
Merveille des merveilles, les bêtes
suivirent les étranges bergers de leur plein gré, sans même grogner.
L’opération prit moins de temps qu’il en aurait fallu à Aethelfrith pour la
décrire.
À l’instant précis où les animaux
disparaissaient dans la forêt, un horrible cri surnaturel s’éleva dans les bois
environnants. C’était le même hurlement que le prêtre avait entendu au gué,
sauf qu’il savait à présent ce qu’il signifiait.
Terrifiés par le cri inhumain, les
porchers se jetèrent au sol et se couvrirent la tête de leur cape. Ils
n’avaient pas encore osé bouger lorsqu’Iwan apparut devant Tuck et, d’un seul
geste de la main, le somma de le suivre. Ils retournèrent à leurs montures et
attendirent Bran, qui les rejoignit presque aussitôt. « Tu peux prendre le
cheval de Siarles, dit le jeune homme au prêtre. Il s’occupe des porcs. »
Ils se replièrent dans l’étroit
défilé, revenant sur leurs pas jusqu’à atteindre un passage plus large, et
prirent alors au nord, en direction du cœur de la forêt. Guère habitué à
chevaucher, Aethelfrith faisait de son mieux pour rester en selle, laissant
plus ou moins sa monture le mener. Il perdit bientôt tout sens de
l’orientation, se contentant de suivre le rythme de son compagnon tandis qu’ils
s’enfonçaient de plus en plus profondément dans les bois séculaires.
Finalement, après avoir ralenti
pour traverser un ruisseau et monté une longue pente douce, ils arrivèrent
devant le grand tronc noir d’un chêne foudroyé. Bran stoppa sa monture et
descendit à terre. Aethelfrith, profitant de l’occasion de quitter sa selle,
l’imita aussitôt. Il regarda autour de lui les géants de la forêt, leurs
branches majestueuses, leur haute cime. En raison de leur forte circonférence,
ils avaient poussé assez écartés les uns des autres, laissant un peu de
végétation croître dans les ombres à leur pied. Des arbres plus jeunes, aussi
droits et fins que des flèches, luttaient pour atteindre le soleil – la
plupart échouaient. Incapables de supporter leur propre poids, ils retombaient
au sol, mais lentement, en s’inclinant selon des angles contre nature.
« Par là », indiqua Bran en
faisant signe à son hôte de le suivre. Il passa par la fente dans le tronc
noirci comme s’il s’était agi d’une porte ouverte. Marchant à sa suite,
Aethelfrith émergea dans une large cuvette baignée de soleil assez grande pour
accueillir le plus étrange des campements, un village de masures et de huttes
fabriquées à partir de branches, d’écorces et – il n’en croyait pas ses
yeux – de cornes, d’ossements et de peaux de cerfs, de bœufs et de bien
d’autres bêtes encore. Au fond de la clairière, des gens œuvraient penchés sur
de modestes rangées de haricots, de pois et de poireaux.
« Voilà qui est
étrange », murmura Aethelfrith. Sans qu’il sache pourquoi, ces lieux
l’enchantaient.
« Bienvenue à Cél Craidd, lui
dit Bran. Ma forteresse. Tuck, mon ami, considère mon foyer comme le
tien. »
L’ecclésiastique lui adressa un
salut de politesse. « J’accepte votre hospitalité.
— Suis-moi, dans ce
cas. » Bran lui ouvrit la route dans le singulier campement. « Il y a
quelqu’un que je dois voir avant que nous discutions. »
Bran, dont la cape de plumes noires
prenait des reflets bleu et argent à la lumière du soleil, le conduisit jusqu’à
une masure située au centre du village. Alors qu’ils approchaient, une vieille
femme repoussa la peau de cerf qui lui servait de porte et en sortit. Elle
considéra le nouveau venu d’un œil perçant, puis se toucha le front du dos de
la main.
« Voici Angharad, dit Bran.
C’est notre banfáith. » Voyant que le prêtre ne comprenait pas, il
ajouta : « C’est comme un barde. Angharad est le Premier Barde de
l’Elfael. » Puis, s’adressant à la vieille femme : « Et voici
frère Aethelfrith, il nous a aidés à Lundein. » Après avoir
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