Robin
de son exil irlandais, où il avait passé les dernières années à
s’insinuer dans les bonnes grâces des rois locaux, à s’attirer lentement leur
sympathie pour la cause bretonne. La rumeur avait couru que Rhys avait ramené
une gigantesque armée dans ses bagages et qu’il se préparait à revendiquer le
trône anglais pendant que William le Rouge se préoccupait de la Normandie. Tel
était le pouvoir du nom de Rhys ap Tewdwr : même des hommes comme Cadwgan
qui courbaient depuis bien longtemps l’échine devant le roi Ffreinc se
prenaient à espérer que le joug des suzerains honnis puisse être secoué.
« Comment est-ce
possible ? se demanda le souverain à voix haute. De quelles mains ?
Était-ce un accident ? » Le seigneur reprit aussitôt ses esprits et
leva sa main pour prévenir toute réponse du messager. « Attendez. Ne dites
rien. Ne restons pas dans la cour, ce n’est point un commérage de place du
marché. Venez dans mes appartements, vous m’y raconterez comment cette tragédie
est arrivée. »
Le temps qu’ils traversent la
grande salle, le roi Cadwgan ordonna qu’on leur apporte à boire dans sa chambre
et fit mander son intendant. Lorsque la reine Anora et le prince Garran les
eurent rejoints, il fit asseoir le messager dans un fauteuil et lui demanda de
leur raconter tout ce qu’il savait de l’affaire.
« Notre roi a eu vent d’une
rumeur selon laquelle les marchogi ffreincs avaient traversé nos frontières et
mis le feu à certaines de nos fermes, commença l’homme après avoir bu une
longue gorgée de bière. Croyant qu’il s’agissait d’une simple razzia, notre
seigneur Rhys a envoyé une compagnie mettre fin à leurs agissements. Comme on
ne voyait aucun guerrier revenir, l’alarme a été donnée et l’armée réunie. Nous
avons trouvé les Ffreincs installés sur nos terres, dans une vallée. Occupés à
construire un de ces caers de pierre dont ils s’enorgueillissent tant.
— Au cœur des Marches,
dites-vous ? » demanda Cadwgan.
Le messager hocha la tête. « À
l’intérieur même des frontières du Deheubarth.
— Qu’en a dit votre
souverain ?
— Il a envoyé des émissaires
au commandant des forces étrangères, pour exiger leur départ et une
contrepartie financière pour les fermes brûlées, sous peine de mort.
— Bien, dit Cadwgan,
manifestant son approbation d’un signe de la tête.
— Les Ffreincs ont refusé,
poursuivit le messager. Ils ont coupé le nez des émissaires et renvoyé les
hommes en sang prévenir le roi qu’ils ne partiraient pas sans la tête de Rhys
ap Tewdwr. » Le messager but une nouvelle gorgée de bière. « Ce qui
ne laissait guère de doute : ils étaient venus livrer bataille à notre
seigneur et le tuer si possible.
— Ils ne vous ont guère laissé
le choix, fit observer Garran, prompt à le resservir. Ils voulaient l’affrontement.
— Effectivement, confirma
tristement le cavalier avant de porter une fois encore la coupe à ses lèvres.
La force ffreinc était plus modeste que la nôtre, moins de cinquante
chevaliers, et peut-être deux cents fantassins, mais nous redoutions quelque
traîtrise. Dieu sait que nous avions raison. Au moment précis où nous nous
disposions en ligne de combat, d’autres marchogi ont surgi du sud et de
l’ouest, au moins six cents, le tiers à cheval et le reste à pied. Ils avaient
pris des bateaux pour nous contourner. » Le messager marqua une pause.
« Ils ont traversé le Morgannwg et le Ceredigion, sans que personne ne
lève un doigt pour les arrêter ou nous prévenir.
— Et le Brycheiniog ?
s’enquit Cadwgan. Ils n’ont pas envoyé leur armée ?
— Non pas, mon seigneur,
répondit l’homme d’un ton cassant. Nulle lame, nul bouclier du Brycheiniog
n’ont été vus sur le champ de bataille. »
Le roi Cadwgan regardait l’homme
devant lui, muet de consternation. Le prince Garran marmonna un juron dans sa
barbe, ce qui lui valut une remontrance de sa mère. « Je vous en prie,
monsieur, dit-elle, poursuivez. Parlez-nous de la bataille.
— Nous avons chèrement vendu
notre peau, ma dame, dit le messager. À la fin du premier jour, Rhys a envoyé
des émissaires dans les cantrefs voisins, mais personne n’a répondu. Nous
étions seuls. » Il se passa une main devant les yeux comme pour en chasser
le souvenir. « Quand bien même, poursuivit-il, le combat a continué
jusqu’à la fin du second jour. Quand Lord Rhys a
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