Robin
parti pour Robert contre Rufus. Le roi ne
l’a pas oublié, pas plus que Dieu, j’en ai peur. Il y aura des comptes à
rendre, je le sais.
— Mais vous respectiez la loi,
protesta l’homme d’église. Vous vous le rappellerez le moment venu, Robert était l’héritier légitime. Il fallait le soutenir, même contre les prétentions de son
propre frère. Vous avez eu raison de le faire.
— Et pourtant, Robert n’est
pas devenu roi.
— Dans Sa sagesse divine, Dieu
a jugé bon d’attribuer la royauté à son frère William. Comment auriez-vous pu
le deviner ?
— Comment aurais-je pu
le deviner ? répéta Bernard à voix haute.
— Précisément* ! Vous
ne pouviez pas savoir, car Dieu n’avait pas encore révélé son choix. Et à mon
avis, c’est la raison pour laquelle Rufus n’a pas puni ceux qui se sont opposés
à lui. Il a compris que vous aviez agi de bonne foi, en respectant la loi du
ciel, et vous a donc pardonné. Vous êtes rentré dans ses bonnes grâces, comme
de juste. » L’ecclésiastique écarta ses mains comme pour présenter un
objet si banal qu’il se passait de description. « Notre roi vous a
pardonné. Voilà* ! Dieu vous a pardonné. »
Ragaillardi par la certitude du
vieux prêtre, Bernard sentit sa mélancolie se dissiper. « Il reste une
autre question.
— Je vous écoute. Soulagez
votre conscience et recevez l’absolution.
— J’ai promis d’envoyer des
vivres en Elfael, confessa le baron. Mais je n’en ai rien fait.
— Mais j’ai vu des hommes
préparer les provisions. J’ai vu les chariots partir. Où sont-ils allés, sinon
au secours des Gallois ?
— Avant, je veux dire. J’ai
laissé l’évêque gallois croire que le comte de Braose avait volé la première livraison,
parce que cela servait mes objectifs.
— Je vois. » Le père
Gervais se tapota le menton d’un doigt taché d’encre. « Mais vous avez
fini par respecter votre serment.
— Oh oui, j’en ai même envoyé
deux fois plus, en fait.
— D’accord, vous avez donc
transformé un mal en bien et vous êtes infligé votre propre pénitence. Vous
êtes absous.
— Et vous êtes certain que ma
conquête de nouvelles terres dans le Wallia est décrétée par les cieux ?
— Deus vult ! confirma
l’homme d’église. Dieu le veut. » D’une main paternelle, il serra le bras
de Neufmarché. « Vous pouvez le croire. Vos efforts sont récompensés parce
que Dieu l’a décidé. Vous êtes Son instrument. Réjouissez-vous et soyez-Lui-en
reconnaissant. »
Ses doutes levés et sa foi
restaurée, Bernard de Neufmarché s’autorisa un sourire. « Comme toujours,
votre conseil m’a été des plus utile. »
Gervais lui retourna son sourire.
« J’en suis heureux. Mais si vous voulez rester dans les bonnes grâces du
Tout-Puissant, construisez-Lui une église dans vos nouveaux territoires.
— Une seule ? s’exclama
le baron, sa fougue retrouvée. Je Lui en bâtirai dix ! »
CHAPITRE 37
« Vous ne pouvez pas sauver
l’Elfael un porc à la fois, disait frère Aethelfrith.
— Tu as vu nos porcs ?
railla Bran. De belles bêtes. »
Iwan gloussa, et Siarles eut un
petit sourire narquois.
« Riez si vous voulez, reprit
le frère de plus en plus grognon. Vous regretterez bien assez tôt de ne pas
m’avoir écouté.
— Les gens ont faim, rappela
Siarles. Ils acceptent volontiers tout ce que nous pouvons leur donner.
— Eh bien rendez-leur leurs
terres ! s’écria Aethelfrith. Dieu vous aime, mon ami, ne le vois-tu
pas ?
— Et n’est-ce pas exactement
ce que nous allons faire ? intervint Bran. Calme-toi, Tuck. Nous sommes
précisément en train de planifier ce que tu suggères. »
Le frère secoua sa tête tonsurée.
« Êtes-vous sourds en plus d’être aveugles ?
— Pourquoi crois-tu que nous
surveillons la route ? demanda Iwan.
— Surveillez-la autant que
vous voudrez, le coupa le prêtre. Ça ne vous mènera à rien si vous ne vous
préparez pas au déluge dont je vous ai parlé. »
Ses camarades froncèrent les
sourcils comme un seul homme. « Eh bien dis-nous, dit Bran. Dis-nous ce
qui nous manque.
— Une bonne dose de cupidité,
répliqua l’ecclésiastique. Par le crucifix et le nez de Jehoshaphat, vous
manquez d’ambition !
— Éclaire-nous, ô Parangon de
Sagesse, fit remarquer Iwan d’un air pince-sans-rire.
— Regardez. » Tuck se
frotta les mains et se pencha en avant. « Le baron de Braose
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