Robin
avec une telle facilité que c’était à
se demander si la main de Dieu n’était finalement pas derrière tout ça.
Quoi qu’il en soit, toute cette
triste affaire avait marqué le début d’une interminable chute pour Hugo, qui
avait vu sa propre bonne fortune régulièrement décroître depuis le jour où
William s’était emparé de la couronne. À présent, l’abbé en était réduit à
lécher les bottes d’une espèce de comte à la noix dans une morne province
perdue peuplée d’indigènes hostiles.
Hugo aurait déjà dû s’estimer
heureux de cette modeste charge, mais la reconnaissance n’était pas une qualité
qu’il avait cultivée. Il préférait maudire l’ambition de Rufus, maudire les
paysages désertiques de la contrée dans laquelle il avait échoué, maudire
l’injuste destin qui l’avait fait tomber si bas.
Tombé bien bas, assurément.
Anéanti, peut-être. Dévasté, même. Mais pas détruit. Et encore moins fini.
Jamais.
Tel Lazare, il se relèverait de sa
tombe lugubre. Aussi faible fût-il, il saisirait cette occasion pour s’extraire
de sa disgrâce et reconquérir son ancienne stature. La nouvelle église de De
Braose pouvait sembler un lieu improbable pour cela, mais des choses autrement
plus étranges étaient déjà arrivées. Que le baron William de Braose soit l’un
des favoris de William le Rouge était l’unique lueur d’espoir dans toute cette
cavalcade de souffrances qu’il endurait à présent. La route qui menait à la
complète restauration de sa fortune et de son pouvoir passait par le baron, et
si Hugo devait servir de nourrice à son morveux de neveu, qu’il en fût ainsi.
Le temps jouait contre lui, il le
savait. Il n’était plus tout jeune. Il ne s’était pourtant guère adouci avec
les années, qui l’avaient surtout rendu plus pauvre, plus dur et plus subtil.
Extérieurement serein et bienveillant, avec ses sourires charitables quand cela
servait ses intérêts – ce qui n’empêchait pas son esprit retors de fourbir
sans cesse quelque machination. Ses cheveux, blancs désormais, n’étaient pas
tombés, pas plus que ses dents. Il avait toujours un corps aussi robuste et
endurant que celui d’un paysan. Qui plus est, il n’avait rien perdu de
l’ambition insatiable de ses jeunes années, qu’il alliait désormais à la
sagacité de l’âge, et sans compter la ruse, qui lui avait permis de sortir
vivant d’épreuves auxquelles bien d’autres auraient succombé.
Il stoppa son cheval et contempla
la vallée de l’Elfael : son nouveau – et provisoire, il l’espérait
ardemment – foyer. S’il ne payait pas de mine, l’abbé devait admettre
qu’il ne manquait pas d’un certain charme bucolique. L’air était pur, le sol
fertile. À l’évidence, il y avait assez d’eau pour n’importe quel dessein. Il
devait exister pire endroit, estima-t-il, pour débuter sa reconquête.
Deux chevaliers du baron de Braose
l’accompagnaient pour assurer sa protection. Sa suite et ses biens arriveraient
d’ici à une semaine – trois chariots chargés des quelques livres et
trésors qu’il lui restait, ainsi qu’un petit nombre d’effets
ecclésiastiques : robes, étoles, mitre, crosse, étendard… Il disposerait
de cinq domestiques : deux prêtres, l’un pour dire la messe et l’autre
pour s’occuper des détails de l’administration, et trois frères lais – un
cuisinier, un valet de chambre et un portier. Sur ces pierres, choisies pour
leur loyauté et leur obéissance aveugle, l’abbé Hugo reconstruirait son église.
Une fois officiellement installé
dans ses nouvelles fonctions, Hugo commencerait à bâtir son nouvel empire. De
Braose voulait une église, Hugo lui donnerait rien moins qu’une abbaye. Il
commencerait par une cathédrale en pierre digne de ce nom, avec en plus un
hôpital, à la fois une auberge pour les dignitaires de passage et un centre de
soins destiné aux gens assez riches pour se l’offrir. S’y ajouteraient un
entrepôt pour la dîme, une écurie, ainsi qu’un chenil pour élever des chiens de
chasse que s’arracherait la noblesse. Puis, lorsque tout cela aurait été
réalisé, une école monastique, le meilleur moyen d’attirer les fils des nobles
et des notables de la région et de soutirer terres et faveurs à leurs parents
reconnaissants.
Ces pensées en tête, il tira sur
les rênes de son palefroi brun. Son escorte allait le conduire à la forteresse
du comte, où il
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