Robin
vous mettez au travail, ton lourdaud de copain et toi…»
Elle lui désigna le deuxième homme toujours à côté de la charrette. «… on
pourra peut-être tenir l’ange de la mort à distance.
— C’est toi qui sais, hudolion »,
répondit l’homme. Il fit signe à son compagnon d’approcher, et tous deux
soulevèrent l’étranger jusqu’à la charrette. Le blessé gémit doucement dans le
transport, mais ne se réveilla pas.
« Doucement, doucement, les
réprimanda la vieille. Je vais déjà avoir assez de travail comme ça sans que
vous lui brisiez les os. »
Elle posa une main ridée sur la
joue blessée de l’étranger, puis deux doigts sur son front glacé. « Sois
tranquille, mon chéri, fredonna-t-elle. Dans mes bras je t’accueille, et jamais
je ne t’abandonnerai. »
Elle se tourna ensuite vers les
deux hommes. « Vous laissez l’herbe pousser entre vos pieds ? Au
travail, fainéants ! Et plus vite que ça. »
CHAPITRE 16
Le comte Falkes de Braose guettait
l’arrivée de son cousin avec autant d’anxiété et d’agitation qu’une jeune fille
attendant son soupirant. Il était incapable de rester assis plus de quelques
instants sans bondir aussitôt sur ses pieds pour aller contrôler quelque détail
qu’il avait déjà examiné et approuvé deux fois au moins. Mal dans sa propre
peau, il sursautait à chaque bruit isolé et plongeait dans des abymes
d’accablement à la moindre nouvelle inquiétude. Et si le comte Philip arrivait
en retard ? Et s’il avait des ennuis en route ? Et s’il n’arrivait
tout simplement pas ?
Il se faisait tout un monde du
mobilier de sa nouvelle forteresse : convenait-il ? Était-il trop
dépouillé ? Philip considérerait-il son cousin comme trop pingre –
ou, pire encore, comme trop dépensier ? La nourriture était-elle assez
somptueuse ? Le vin agréable au goût ? La viande bien
assaisonnée ? Le pain trop dur, la soupe pas assez épaisse, la bière trop
douce ou trop aigre ? Combien d’hommes accompagneraient Philip ?
Combien de temps allait-il rester ?
Une fois submergé de tous ces
tourments, il sentit grandir en lui un certain ressentiment. Quelles raisons
Philip aurait-il de s’irriter ? Après tout, il avait conquis l’Elfael avec
un minimum de pertes. La plupart des soldats n’avaient même pas eu besoin de
sortir leurs armes. Sa première campagne s’était soldée par un triomphe
total ! Qu’est-ce qu’on aurait pu lui demander de plus ?
Quand Philip, comte de Gloucester,
arriva avec son escorte tard dans la journée, Falkes était à bout de nerfs.
« Cousin ! » rugit Philip en traversant à grands pas la cour
ornée de banderoles de Caer Cadarn. Très grand, les cheveux noirs, il souffrait
d’une calvitie croissante qu’il dissimulait sous une toque taillée dans de la
fourrure de martre. Matière qui avait également servi à confectionner ses gants
d’équitation et le haut de ses bottes. « Qu’il est bon de te revoir, pardieu !
Ça fait combien de temps ? Trois ans ? Quatre ?
— Bienvenue ! lui
répondit Falkes dans un cri étranglé. J’espère que ton voyage s’est déroulé
sans incidents.
— Sans le moindre. Rendons-en
grâce à Dieu, répondit Philip en étreignant brusquement son parent. Mais toi…
tu te sens bien ? » Il considéra d’un œil inquisiteur son jeune
cousin. « Tu es pâle, on dirait que tu as de la température.
— Ce n’est rien, juste une
fièvre due à l’attente. Ça va passer. » Falkes se retourna et indiqua la
grande salle d’un vague geste de la main. « Ce n’est pas le palais de
Valroy, s’excusa-t-il, mais considère-le comme le tien aussi longtemps que tu
souhaiteras y rester. »
Philip considéra d’un air dubitatif
la grossière structure de bois. « Eh bien, tant qu’il me protège de la
pluie, il me conviendra parfaitement.
— Suis-moi, dans ce cas,
allons partager la coupe de bienvenue ; tu pourras me raconter comment les
choses évoluent à la cour. » Falkes se reprit et stoppa net.
« Comment va mon oncle ? Se porte-t-il bien ? C’est vraiment
dommage qu’il n’ait pas pu t’accompagner. J’aurais aimé le remercier de vive
voix de m’avoir confié son tout dernier commot.
— Père va bien, et il est
content, sois sans crainte », répondit Philip de Braose. Il retira ses
gants et les passa dans sa ceinture. « Rien ne lui aurait fait plus
plaisir que de venir avec moi, mais le roi en est
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