Robin
« Apporte-moi du
pain.
— Quoi ? répéta l’oiseau
en déployant ses ailes.
— Du pain, gémit Bran d’une
voix essoufflée. Apporte-moi du pain. »
Le freux pencha sa tête sur le
côté. « Quoi ?
— Espèce de volatile
stupide. » Rendu furieux par l’attitude du corbeau, Bran se remit
péniblement sur ses pieds. L’oiseau réagit aussitôt ; il s’envola en
criant, ses « Quoi ! Quoi ! » se répercutant à travers
toute la forêt.
Bran regarda autour de lui et
réalisa avec désespoir qu’il avait déliré une bonne partie de la journée. Il
reprit donc sa route, abattu, redoutant de se fier à son jugement de moins en
moins sûr. Ses blessures à la poitrine et dans le dos, chaudes au toucher,
l’élançaient à chaque pas. Quand la lumière du jour commença à décroître autour
de lui, sa marche se fit plus traînante encore. Il était épuisé, la faim lui
tordait les boyaux et sa poitrine le faisait souffrir à chaque respiration.
L’interminable journée prit fin, le laissant plus mal en point que lorsqu’elle
avait commencé. La nuit se referma sur lui comme un poing. Il ferma les yeux
sous les grosses branches d’un orme et s’endormit au pied de cet inconfortable
abri de fortune.
Quand il se réveilla le lendemain
matin, il se sentait aussi fatigué qu’au coucher. Tout au long de cette seconde
journée, la peur l’encercla comme une bête de proie. Il se rappela par la suite
s’être dit que s’il ne trouvait pas un chemin pour sortir de la forêt, ladite
journée pourrait bien être sa dernière. Il avait décidé de suivre le prochain
ruisseau qu’il trouverait sur sa route, espérant qu’il finirait par le conduire
jusqu’à la rivière qui coupait en deux l’Elfael.
Ce qu’il fit. Sa détermination
parut dans un premier temps récompensée, car la forêt s’éclaircit et laissa des
bouts de ciel apparaître au-dessus de lui. Un peu plus loin, il vit de l’herbe
verte illuminée par les rayons du soleil, et se prit à imaginer la vallée qui
s’étendait au-delà. Une fois qu’il eut passé en boitant les derniers arbres qui
l’en séparaient, il déboucha dans une large prairie ; en son centre
trônait un plan d’eau miroitant au bord duquel voletaient des libellules et des
alouettes. Le ruisseau s’y déversait et, pour autant qu’il puisse en juger,
n’en ressortait pas.
Cela lui avait pris presque deux
jours pour atteindre une nouvelle impasse. À bout de forces, tous ses espoirs
réduits en cendres, il étendit ses jambes raides dans l’herbe haute et se
perdit dans la contemplation de l’eau, trop fatigué pour faire quoi que ce
soit.
Au bout d’un moment, il
s’agenouilla à grand-peine au bord de l’eau, but quelques gorgées, puis se
rassit. Il allait se reposer un peu avant de repartir. Il s’allongea dans
l’herbe et ferma les yeux, s’abandonnant à la fatigue qui le paralysait. Quand
il se réveilla, la lune surplombait une ligne de nuages en provenance du
nord-ouest. Toujours aussi épuisé, il referma ses yeux et se rendormit.
Il plut avant le matin, mais Bran
ne se releva pas. Et ce fut là que la vieille femme le découvrit le lendemain.
Sortie de la forêt en boitillant
sur ses jambes robustes, elle resta un long moment à contempler l’épave
humaine. « Vous arrive-t-il de faire dans la demi-mesure ?
questionna-t-elle en regardant vers le ciel. Que ce soit juste ou pas, je ne
saurais le dire. Mais lourde fut la main qui rompit ce roseau. »
Elle se tut, comme pour écouter
quelque chose. « Oh, oui, marmonna-t-elle. Oui et encore oui. Ta servante
obéit. »
Sur ce, elle retira la loque mangée
aux mites qui lui servait de cape et la posa sur le blessé. Puis elle repartit
dans la forêt comme elle en était venue. Elle réapparut vers midi, accompagnée
d’hommes en haillons tirant une charrette à bras. Elle les conduisit jusqu’à
l’endroit où elle avait trouvé le jeune homme inconscient ; il gisait là
où elle l’avait laissé, toujours recouvert de la cape.
« On pourrait creuser une
tombe, suggéra l’un des hommes après avoir observé la peau pâle et exsangue de
l’étranger. J’crois qu’ce s’rait miséricordieux.
— Non, non, dit-elle.
Emmenez-le jusqu’à mon âtre.
— Il a b’soin d’aut’chose
qu’la chaleur d’un âtre, fit observer l’homme en se grattant la barbe. P’têt
ben de l’extrême-onction.
— Allons, Cynvar, répliqua la
vieille femme. Si vous
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