Robin
le laissait jamais s’aventurer trop loin,
et le perdait rarement de vue plus de quelques secondes. Bran était toujours
plus faible qu’il ne l’imaginait, et son empressement à reprendre sa route vers
le nord l’inclinait à se surmener. Il confondait convalescence et indolence, et
ne manquait jamais une occasion de faire savoir à la vieille femme qu’il se
sentait prisonnier de sa prévenance. Rien que de très naturel, elle le savait,
mais il y avait plus.
Dernièrement, le sommeil de Bran
était devenu agité et irrégulier. À plusieurs reprises, alors que l’aube se
levait à l’est, elle l’avait entendu pousser des cris ; quand elle allait
à son chevet, elle le trouvait toujours endormi mais en sueur, et respirant
avec difficulté. Angharad soupçonnait son histoire de faire effet sur lui.
Cette nuit-là, encore faible d’avoir erré dans la neige, il l’avait entièrement
faite sienne. Sa fatigue l’avait plongé dans un état de réceptivité
exceptionnel – en tout cas pour quelqu’un possédant une telle volonté et
un esprit de contradiction aussi fort. Il s’était retrouvé dans l’état de
sérénité alerte que les bardes appelaient trwyddo ennyd, le temps des
semences, qu’ils considéraient comme un moment privilégié pour l’apprentissage.
Ce repos attentif avait permis à la chanson de pénétrer profondément dans
l’essence de Bran, en faisant fi de sa vigilance pourtant si acérée. À présent,
elle voyageait sous sa peau, se frayait un chemin jusque dans ses os,
s’infiltrait dans son âme et le changeait du tout au tout sans qu’il s’en
aperçoive.
Un jour viendrait où sa
signification lui éclaterait au visage – plus ou moins tôt, mais cela
finirait par se produire. Voilà pourquoi, outre les soins qu’il réclamait,
Angharad le surveillait si étroitement : pour être à ses côtés quand cela
arriverait.
Sans parler de ses projets le
concernant.
Un jour, alors que Bran était assis
dehors au soleil, Angharad arriva avec un bâton de frêne à la main. Elle
s’approcha de lui et dit : « Lève-toi, Bran. »
Une fois qu’il se fut exécuté en
bâillant, elle plaqua la longueur de bois contre son épaule. « Qu’est-ce
que c’est ? demanda-t-il. Vous voulez me fabriquer un bâton de
druide ? » Pour tromper son impatience, il avait commencé à se moquer
des manières désuètes de la vieille femme. Sachant pertinemment pourquoi il
agissait ainsi, elle ignora astucieusement la pique.
« Non, non, dit-elle, il te
faudrait bien dix-sept ans pour pouvoir en tenir un, et tu aurais dû commencer
avant ton septième été. Ceci, dit-elle en lui collant le bâton dans les mains,
est ta nouvelle occupation.
— Garder les moutons ?
— Si tu le souhaites. J’avais
autre chose en tête, mais le choix t’appartient. »
Il considéra la fine longueur de
bois. Presque aussi longue qu’il était grand, d’une bonne épaisseur,
parfaitement équilibrée. « Un arc ? subodora-t-il. Vous voulez que je
fabrique un arc ? »
Elle sourit. « Et moi qui te
croyais l’esprit lent. Oui, je veux que tu fabriques un arc. »
Bran réexamina attentivement la
longueur de frêne. Ici et là le bois était légèrement voilé, mais cela ne
l’empêcherait pas d’être travaillé. Là n’était pas le problème. « Non,
finit-il par dire, je ne peux pas. »
Le regard de la vieillarde passa du
bâton au jeune homme. « Pourquoi, Maître Bran ?
— Ne m’appelez pas comme
ça ! dit-il durement. Je suis un noble, un prince, et pas un vulgaire
commerçant. Souvenez-vous-en.
— Tu as cessé d’être un prince
le jour où tu as abandonné ton peuple », articula-t-elle. Sa voix était
calme, mais son attitude ne montrait nul signe de pitié. Bran sentit une
bouffée de honte désormais familière l’envahir. Ce n’était pas la première fois
qu’elle lui reprochait ses projets de fuir l’Elfael. Posant une main sur le
bâton, elle ajouta : « Dis-moi pourquoi ce bois ne pourrait pas être
travaillé.
— Il est trop vert, répondit
Bran d’une voix que sa mauvaise humeur rendait presque inaudible.
— Explique-moi, s’il te plaît.
— Si vous vous y connaissiez
un tant soit peu en arcs, vous sauriez qu’on ne peut pas simplement couper une
branche et commencer à la façonner. Il faut d’abord faire sécher le bois, au
moins un an. Sinon, il se vrillera et ne pliera jamais correctement. » Il
lui tendit la longueur de
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