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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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du dernier fuyard, qui s’étalait aux pieds du
général Ribeyre. Avec une parfaite désinvolture et une souplesse dont Axel n’aurait
pas cru ce quinquagénaire capable, Ribeyre sauta à pieds joints sur la poitrine
du malfaiteur, qui exhala un râle et perdit connaissance.
    — J’ai entendu craquer ses côtes, dit Axel, ennuyé.
    — Claude ne pèse pas lourd, et puis, les côtes, ça se
recolle ! dit Blaise.
    — En tout cas, bien joué, Axel, tu as eu ton homme. Sûr
qu’il aura des maux de tête pendant quelque temps ! complimenta Ribeyre.
    Sous le regard des clients de l’auberge qui, encadrant Flora
et Charlotte, bouche bée, avaient suivi de loin la bataille, Blaise s’en fut
remplir un seau à l’abreuvoir et doucha successivement les quatre malandrins. Trois
se relevèrent mais le dernier, qui avait servi de tremplin à Ribeyre, resta
étendu, se tenant la poitrine et gémissant.
    — Ne va-t-il pas mourir ? demanda Flora, inquiète.
    L’aubergiste, de fort méchante humeur, choisit ce moment pour
protester.
    — Je vais envoyer chercher le shérif. Ça ne peut pas se
passer comme ça, messieurs. Ces garçons ne méritaient pas une telle correction,
pour une simple algarade avec un cocher !
    D’un seul mouvement, Blaise et Claude happèrent le tenancier
aux aisselles, le soulevèrent et, après un balancement, le jetèrent à plat
ventre dans l’abreuvoir. Voyant agir avec décision des hommes qu’ils
supposaient habitués à se battre, les témoins de la scène se gardèrent d’intervenir.
Quand survint l’épouse de l’aubergiste, une jeune femme plutôt jolie qui
bredouillait des mots incompréhensibles en se tordant les mains, Blaise, tel un
bonimenteur, fournit à l’assemblée l’explication que personne ne demandait.
    — Mesdames, messieurs, cette auberge est un guet-apens
permanent, car les loustics que nous avons rossés sont au service du gargotier
qui baigne sous vos yeux. Ils se tenaient tous quatre dans les écuries quand
nous sommes arrivés, prêts à faire leur mauvais coup. N’est-ce pas exact, ma
belle ? conclut le général en secouant la jeune femme qui sanglotait.
    — Tais-toi, tais-toi ! cria l’aubergiste à sa
femme en s’extirpant, non sans mal, de son bain.
    Si l’épouse se tut, deux des malfaiteurs, vigoureusement
encouragés aux confidences par Titus et Blaise, se montrèrent plus loquaces. Ils
confessèrent publiquement qu’ils ne faisaient, en effet, qu’obéir aux consignes
du patron. Prendre tout ce qu’on peut aux étrangers, ne rien voler aux Anglais !
    — Patriotique discrimination qui aggrave le cas de
cette canaille ! s’exclama Ribeyre en repoussant l’aubergiste dans l’abreuvoir
d’où, résigné, il ne tenta plus, cette fois, de sortir.
    Tous les clients de l’auberge commençaient à rire
franchement, bien certains qu’après un tel intermède l’aubergiste n’oserait pas
présenter les additions. Plusieurs affirmèrent que ce n’était pas la première
tentative de vol perpétrée dans la cour de cette auberge, cible favorite des
voleurs de grand chemin.
    — Qu’allez-vous faire, maintenant ? demanda, morte
d’inquiétude, la femme du tenancier.
    — Nous allons reprendre notre route, ma bonne dame, et
vous laisser en compagnie de ces vilains. Mais peut-être allons-nous mettre le
feu à l’auberge, histoire de purifier un lieu entaché de tant de crimes, lança
Ribeyre, avec un clin d’œil à ses amis.
    La malheureuse se jeta à genoux, aux pieds du général, le
suppliant d’épargner son foyer. Elle implora l’indulgence de tous, invoquant le
sort de ses enfants, disant que son mari la tuerait si l’auberge était détruite.
Elle s’engagea même à ne plus tolérer qu’on détroussât les voyageurs. Elle
plaida si bien que Charlotte approcha d’un pas décidé et la releva.
    — Nos maris ne sont pas si méchants. Ce sont des
généraux français qui reviennent du couronnement de votre reine. Ils ne vous feront
aucun mal. N’ayez pas peur. Mais prenez vos enfants et plantez là votre voleur
de mari ! Ce n’est pas une vie que la vôtre !
    La femme sécha ses yeux au coin de son tablier et baisa la
main de Charlotte.
    — Écoutez-moi, laissez-le avec ces malotrus qui ont
peut-être du sang sur les mains, répéta M me  de Fontsalte
en se dégageant.
    La femme, les yeux baissés, secoua la tête et reprit la main
de Charlotte.
    — Même s’il va en enfer, il faudra que je le suive,

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