Romandie
le
monsieur ramait bien droit. Sûr qu’on aurait pu traverser la mer comme papa !
— Heureusement que nous avons eu à faire à un homme
sensé. Lui-même père de famille, habitué aux incartades de ses propres enfants.
Il a tout de suite reconduit Vincent à terre. Marie-Blanche, que j’ai rudement
sermonnée, pleurait…
— Et le monsieur pêcheur est venu me voir le demain.
— Pas le demain, le lendemain, rectifia Élise.
L’enfant négligea l’intervention et poursuivit son récit.
— Il m’a invité chez lui. J’y ai allé avec
Marie-Blanche. On a mangé des grandes crêpes avec du miel, des crêpes bien
mieux bonnes que celles qu’on donne à l’hôtel. Et je me suis amusé avec son
petit garçon, qui s’appelle Riton et qui sait faire des bateaux avec des morceaux
de bois ! Quand je serai grand, je serai pêcheur de gros poissons, comme
Riton ! conclut l’enfant, péremptoire.
La mésaventure nautique du petit-fils l’emporta, dans un
premier temps, sur le récit du séjour londonien de la grand-mère. Élise dut néanmoins,
subir une version du couronnement de Victoria qu’Axel trouva sensiblement
améliorée. Flora, assez éprouvée par le mal de mer, se taisait, laissant la
vedette à son amie. Elle ne fut pas sans remarquer le sourire un peu moqueur de
l’épouse d’Axel. Élise, femme instruite, avait beaucoup voyagé avec son père, au
cours de sa jeunesse. Elle connaissait Londres, les mœurs et les rites britanniques.
Aussi pensa-t-elle que les ébahissements de sa belle-mère étaient ceux d’une
Vaudoise qui ne s’était jamais éloignée de son lac.
Les retrouvailles entre belle-mère et bru, dont tous
savaient, dans le cercle Fontsalte, qu’elles n’éprouvaient l’une pour l’autre
que des sentiments mitigés, eussent cependant été presque chaleureuses si Charlotte
s’était dispensée, dans son récit détaillé de la cérémonie de Westminster, de
condamner la partialité religieuse des souverains britanniques.
— Après avoir été ointe des saintes huiles, la reine a
juré, devant l’archevêque de Canterbury, « de maintenir la religion
réformée protestante telle qu’elle est établie par la loi » ! Or, la
reine compte, parmi ses sujets, de plus en plus de catholiques, ne serait-ce
que les Irlandais. Alors, pourquoi cet ostracisme, cette ignorance dédaigneuse
de l’Église romaine ? Victoria n’est-elle reine que des protestants ?
s’indigna, a posteriori, M me de Fontsalte.
À peine cette phrase avait-elle été prononcée qu’Axel lut, sur
le visage soudain crispé et dans le regard méprisant de sa femme, l’annonce d’une
de ces discussions dont il redoutait, autant que Blaise, les débordements. Avant
qu’il n’ait eu le temps de désamorcer ce casus belli, Flora s’empressa d’apporter
de l’eau au moulin de son amie.
— Ce serment m’a offusquée, moi aussi. Même si la
religion anglicane, ce curieux mélange, est religion d’État, une reine doit
être au-dessus des lois et accorder le même intérêt spirituel à tous ses sujets.
D’autant que, Charlotte a raison de le dire, car des dames anglaises nous l’ont
assuré, de plus en plus de protestants penchent du côté de Rome. Même s’ils ne
reconnaissent pas encore l’autorité du Saint-Père, des pasteurs portent le
surplis pendant les offices, font agenouiller les fidèles pour leur donner ce
qu’ils nomment enfin la Sainte Eucharistie, rétablissent l’usage des cierges et
de l’encens…
— Et parlent, même, d’instituer le célibat des pasteurs,
compléta Charlotte, avec un sourire malicieux.
Prévoyant – peut-être même, souhaitant – la
réaction de sa bru, elle se préparait à l’escarmouche avec un secret plaisir et
ajoutait une provocation à l’autre.
Axel, soupçonnant que ces joutes théologiques entre sa mère,
catholique militante, et sa femme, fille de pasteur, avaient pris, chez Charlotte
tout au moins, un aspect ludique, intervint vivement :
— Ce serment, qui vous scandalise, est prêté par tous
les souverains anglais au jour de leur couronnement. Et cela, depuis qu’un des
leurs, Henri VIII, qui voulait se débarrasser de sa femme pour en épouser
une autre et avoir un enfant, et dont le pape Clément VII refusa d’annuler
le mariage, rompit avec Rome et se fit proclamer seul chef de l’Église d’Angleterre,
expliqua-t-il, pensant ainsi atténuer la charge maternelle.
— Que serait aujourd’hui un
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