Romandie
philanthrope Perdonnet, rue du Lac.
— J’ai rencontré ta belle rousse de Lausanne, la
semaine dernière, dit Louis, en préambule. C’est elle qui m’a abordé et s’est
fait reconnaître. Elle m’a, d’emblée, demandé de tes nouvelles, puis elle a
ajouté : « La dernière fois que j’ai parlé à M. Métaz de Fontsalte,
il y a longtemps, il m’a dit, au cours d’une conversation à bâtons rompus, que
vous êtes son meilleur ami. » « S’il vous a dit que je suis le
meilleur de ses amis, je le suis, madame », ai-je répondu. Et elle a
enchaîné en faisant un très visible effort, comme si les mots lui brûlaient les
lèvres : « Puisque vous êtes son meilleur ami, glissez-lui, à l’écart
de toute oreille indiscrète, que je regrette de m’être sottement conduite, autrefois,
à Yverdon, et ajoutez, bien que cela puisse vous paraître osé et même
inconvenant de ma part, que la vie d’une femme est grise quand l’amour ne l’éclaire
plus. Sur ce, le visage brusquement empourpré par un érythème pudique qui en disait
long sur le coût d’une telle confidence, elle a tourné les talons, sans même me
dire au revoir ! acheva Vuippens.
Axel, un instant abasourdi, se mit à rire.
— Elle ne manque pas d’audace, la coquine, dit-il, assez
flatté que Marthe Bovey fût allée jusque-là pour tenter de renouer une relation
dont elle semblait accepter, maintenant, l’aboutissement refusé deux ans plus
tôt.
Louis prit affectueusement son ami par le bras et l’entraîna
jusqu’à son cabriolet. Le cheval du médecin frissonnait sous la couverture et, la
conversation des deux hommes se prolongeant malgré la température hivernale, il
se mit à piaffer, frappant le pavé d’un sabot impatient. Louis n’en poursuivit
pas moins, à l’intention de son ami :
— Tu es attendu, mon cher. La dame est prête à se
rendre à tes conditions. Apparemment, elle n’a pas trouvé mieux ! L’abstinence
doit la travailler, elle aussi ! Puisque tu ne te satisfais plus de la copulation
hygiénique et vénale, qu’attends-tu pour te jeter dans la couche d’une veuve
sevrée de tendresse ?
— Tu sais les complications qui peuvent en découler, Louis.
Je veux épargner toute peine à Élise et protéger sa dignité d’épouse. Je ne
veux pas qu’on puisse dire, en cas d’indiscrétion – or, il y en a toujours,
dans un pays comme le nôtre –, que M me Métaz est une femme
trompée par son mari. Voilà ce qui me retient.
— Tu n’as peut-être pas tort. Sais-tu qu’autrefois, en
Suisse, quand deux femmes réclamaient le même homme et que le crime de bigamie
était prouvé, les tribunaux ordonnaient que le corps du bigame fût partagé en
deux parts égales !
— Brr ! Voilà qui devait faire hésiter les Casanova !
— Aujourd’hui, nous sommes un pays civilisé. Il suffit
d’être discret et, comme disait mon père, le boulanger, de faire ça hors du canton !
Tu vas assez souvent à Genève et en Valais pour trouver un lieu de rendez-vous,
non ? En tout cas, mon vieux, si une telle femme me faisait pareille avance,
j’y courrais. Elle m’a paru encore plus belle, plus pulpeuse, plus désirable qu’autrefois.
Elle ressemble à la Pallas de Botticelli, tu vois le tableau, celle qui console
le Centaure ! Enfin, tu feras ce que tu voudras ! Moi, j’ai transmis
le message ! conclut le médecin en montant dans sa voiture qui s’ébranla
avant même qu’il eût saisi les rênes.
Cette invite de Marthe Bovey laissa Axel perplexe. Avant de
gagner sa chambre, dans la demeure silencieuse – Élise ne l’avait même pas
attendu pour lui souhaiter le bonsoir –, il s’assit au salon devant un feu
de bois mourant, vida le reste de la bouteille de dézaley dans son verre, ralluma
sa pipe et se mit à réfléchir. Cette relance de la jolie veuve pourrait lui
permettre de conjurer un plus grand danger, qui avait nom Alexandra.
Tout dormait à Rive-Reine quand il se persuada que, pour se
défendre d’une telle attirance physique, une autre femme ferait l’affaire. Il
décida d’attendre le printemps pour revoir Marthe Bovey. Elle avait mis des
mois avant de se manifester, il n’allait pas se jeter à ses pieds, aussitôt son
appel reçu, tel un amoureux transi.
Les jours qui suivirent furent consacrés à l’accueil de
Rosine Mandoz, la sœur de Flora, veuve du garde pontifical. Après liquidation
de ses affaires romaines, elle venait de louer un
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