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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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l’empereur furent
placés à bord du petit vapeur la Dorade 3, dont la décoration funèbre,
avec panaches et plumeaux, parut desi mauvais goût que le prince de
Joinville, lui-même, la fit réduire. Cela tenait au fait que le corbillard
flottant, sorte de temple grec avec colonnes et cariatides, dont la toiture
portait, aux quatre angles, l’aigle impériale aux ailes déployées, n’était pas
au rendez-vous !
    Escorté par six autres vapeurs de même type, crachant une
épaisse fumée noire, la Dorade remonta la Seine jusqu’à Courbevoie. Sur
les rives, des dizaines de milliers de gens saluèrent le passage de la
flottille au cri de « Vive l’empereur ! ». Sur plus de trois
cents kilomètres, les villes et villages pavoisés firent la haie pour le mort
qui revenait d’exil. Rouen, à qui le pouvoir refusa une escale, avait dressé un
arc de triomphe fleuri de vingt-cinq mètres de haut, qui exhaussait le pont de
la cité. On avait aussi dressé des tribunes, mobilisé les musiques, les gardes
nationaux, les écoles et, derrière l’évêque, qui bénit la Dorade au
passage, le clergé en chasuble et tout ce que la ville comptait de personnalités.
    Si Charlotte, Flora et Alexandra, peu disposées à piétiner
dans la neige, qui tombait par intermittence, et à souffrir la morsure de la
bise, furent confiées aux bons soins d’Axel, les généraux, ayant endossé leur
meilleur uniforme, se rendirent à Courbevoie, où Napoléon devait retrouver le
sol de France. Ils suivirent ensuite le cortège, jusqu’aux Invalides, parmi les
anciens de la Garde impériale.
    Le char funèbre à quatre roues pleines, dans lequel fut
glissé le cercueil, leur apparut comme un mausolée mobile, dans le goût antique.
Ce prodigieux monument de bois doré, de verre et de toiles peintes, atteignait
onze mètres de hauteur. Sur un socle de deux mètres s’élevait un long piédestal,
précédé d’anges présentant au peuple la couronne de Charlemagne. Quatorze
vestales aux longues robes soutenaient, des bras et de la tête, un immense
bouclier, doré à l’or fin. Sur ce pavois des triomphes antiques reposait un cénotaphe
d’ébène, drapé de crêpe violet. Ce n’était qu’un cercueil postiche, la bière
contenant le corps de l’empereur étant dissimulée aux regards, sous les
tentures du piédestal, ce que beaucoup regrettèrent.
    Les deux généraux, qui avaient vécu les heures douloureuses
de l’abdication, le départ humiliant vers La Rochelle, la dernière tromperie de
Fouché, l’épisode de l’île d’Aix, le geste méprisable de Louis XVIII s’associant
à l’Anglais pour déporter l’empereur à Sainte-Hélène, ne pouvaient que s’exalter
à la vue de cette pompe impériale restaurée. Napoléon Bonaparte, tel le Phénix,
ressuscitait dans les cœurs et les esprits. Ce corps, inerte depuis près de
vingt ans, ballotté sur le char monumental que tiraient seize chevaux caparaçonnés
d’or, devenait corps mystique plus encore que glorieux. Tout au long du
parcours à travers la capitale, sur les avenues empruntées par le convoi, le
peuple de Paris, plus chaleureux que recueilli, semblait vouloir expier par les
ovations, les paroles de la Marseillaise entonnées spontanément, les
attentions tardives et de circonstances à l’égard des anciens soldats de l’Empire,
ses abandons, ses lâchetés, son opportunisme. Le mort illustre, qui lui avait
pris tant de sang, lui avait aussi légué des institutions, des lois, des codes,
des écoles, des trésors artistiques, dont la monarchie usait sans vergogne. Figé
dans la mort, impavide et muet mais étrangement présent, l’empereur contraignait
la plèbe à cet instant de dignité et de grandeur.
    Quand le cortège eut passé sous l’Arc de triomphe, tout
frémissant de drapeaux et d’oriflammes, il descendit les Champs-Élysées, jalonnés
de mâts, d’aigles perchées sur des colonnes, d’étendards, de trophées. Sur le
pont Louis XVI, place de la Concorde, devant la Chambre des députés, tandis
que tonnaient les canons, la même foule proclamait la fierté retrouvée d’appartenir
à la nation qui avait donné au monde un grand capitaine, doublé d’un
législateur génial.
    Un tel enthousiasme tirait des larmes à ceux qui, ayant
combattu pour le Corse sur tous les champs de bataille d’Europe, eussent mérité,
dans les tribunes, les premières places, plus souvent attribuées aux ralliés à
la monarchie, courtisans,

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