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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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prébendiers du jour, fonctionnaires d’un régime
habile à se parer d’une gloire empruntée à contrecœur et par démagogie.
    Blaise et Claude, très émus, retrouvèrent ce jour-là de
vieux camarades de combat et furent reconnus par d’autres anciens, arborant
comme eux l’insigne d’origine, modèle impérial, de la Légion d’honneur, qui les
distinguait des décorés mondains de Charles X et Louis-Philippe.
    Lors du dernier bivouac sur l’esplanade des Invalides, où l’on
avait érigé, alternant avec des pots à feu fumeux et malodorants, les statues
plus ou moins ressemblantes des maréchaux défunts. Blaise et son ami se virent
entourés, devant l’effigie de Ney, par d’autres vétérans. Balafrés de Waterloo,
borgnes de Wagram, manchots de Marengo, culs-de-jatte de Leipzig, tous ceux qui
pouvaient encore marcher se tenaient à l’écart, toisant avec dédain les gardes
nationaux. Aussi droits et raides que le permettaient rhumatismes et ankylosés,
frissonnant dans leurs uniformes délavés, comparant leurs décorations, ils
échangeaient des souvenirs. Tel, qui avait laissé la moitié de ses doigts et un
pied dans les glaces de la Berezina, évoquait les visions d’enfer de la
campagne de Russie, tel autre, les aisselles meurtries par ses vieilles
béquilles, citait les mots que lui avait adressés l’empereur en le décorant de
la Légion d’honneur, à Eylau, un troisième rappelait au général Fontsalte qu’il
faisait partie du bataillon qui avait porté le corps de Desaix au Grand-Saint-Bernard.
    La plupart de ces grognards ne purent assister à la remise
officielle du corps de l’empereur au roi Louis-Philippe par son fils le prince
de Joinville, l’accès à l’église Saint-Louis étant réservé aux gens de cour, aux
dignitaires royalistes et aux invités du gouvernement. Fontsalte et Ribeyre
avaient obtenu des places dans le sanctuaire, où les attendaient, depuis deux
heures, leurs épouses grelottantes et parfaitement scandalisées par le brouhaha
de salon, les conversations mondaines, le manque de recueillement des officiels,
dont la plupart, anti-bonapartistes, paraissaient fort contrariés. Ils venaient
de découvrir, à travers la ferveur et l’enthousiasme d’un peuple innombrable [139] qu’ils croyaient définitivement acquis à la monarchie, combien la royauté
restait vulnérable.
    À trois heures, la cérémonie prit fin et, aussitôt, l’accès
de l’église devint libre. Ceux et celles qui piétinaient depuis des heures la
boue glacée, dans le vent et sous la neige, purent, enfin, dans la bousculade, approcher
du catafalque. À la tombée de la nuit, les Fontsalte et les Ribeyre furent bien
aise de retrouver Axel et Alexandra pour aller dîner, tandis que des milliers
de Parisiens se pressaient encore autour de l’église où le cercueil de l’empereur
resterait exposé plusieurs jours.
    Contrairement à ce qu’escomptait le gouvernement français, l’intérêt
porté par le peuple au retour des cendres de Napoléon ne retomba pas, une fois
les cérémonies officielles terminées. Devant l’église des Invalides, les foules
se renouvelaient d’heure en heure, de jour en jour. Le service d’ordre avait
bien du mal à canaliser ceux et celles qui voulaient approcher du cercueil de l’empereur,
le toucher, parfois le baiser, déposer des fleurs ou, plus sobrement, se recueillir
à proximité [140] .
C’est ainsi qu’Axel et sa filleule purent voir à leur tour, sous la nef des Invalides
illuminée, le catafalque, couvert d’un drap constellé d’abeilles impériales, sur
lequel, à l’invitation de Louis-Philippe, le général Bertrand avait déposé l’épée
de Napoléon et le général Gourgaud le chapeau de Bonaparte.
    Comme pour entretenir et prolonger cet engouement
nostalgique des citoyens pour l’Empire défunt, on vendait au coin des rues des
textes de circonstance, notamment une copie clandestine du long poème que M. Victor
Hugo avait envoyé à M. Thiers, le 15 décembre, et aussi une Ode à
Napoléon, œuvre d’un jeune écrivain de LaNouvelle-Orléans, Victor
Séjour, quarteron, ami d’Alexandre Dumas. Ce Louisianais de vingt-trois ans
avait fait de brillantes études dans une institution de sa ville natale, l’académie
Sainte-Barbe, fondée par un Noir, avant d’être envoyé à Paris par ses parents.
Blaise de Fontsalte estima ce jeune homme peu rancunier puisqu’il vénérait
celui qui, en 1803, avait vendu la

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