Romandie
souri, de son
sourire ironique, il a serré faiblement ma main et s’en est allé !
— Je plains aussi les Wildenberg, père et fils, dit
Axel.
— Ils sont effondrés. On a dû enlever le fusil d’Arnaud :
il voulait se faire justice sur-le-champ. J’ai mis un moment à le persuader qu’il
n’était en rien responsable et que cette manie qu’avait mon vieux Ribeyre, souple
comme un chat, de s’accroupir pour tirer, expliquait qu’il l’avait aperçu trop
tard, derrière le sanglier. C’est la fatalité, mon garçon. Vingt fois, Claude
avait été taquiné par la mort pendant nos campagnes et il a fallu qu’il meure
ainsi, bêtement ! La chasse, Axel, est le plus ancien et le plus noble
exercice de l’homme dans la nature. Chasser exige, certes, la connaissance du
gibier, mais aussi la prudence et le respect des règles. Surtout lors des
battues, ajouta le général, avant de s’éloigner de quelques pas, les yeux au
ciel, en frappant de son poing droit sa paume gauche, geste de révolte et de
colère contre la perfidie divine.
Axel attendit en silence que son père revînt près de lui.
— Maintenant, dit le général en se redressant, je dois
rejoindre Flora et Charlotte. Et puis, si vous le voulez bien, nous
organiserons les funérailles de Claude.
— Vous l’avez ramené ici !
— Il est là-haut, dit Fontsalte en désignant une
chambre du premier étage, dont les persiennes étaient closes.
Comme Axel se taisait, imaginant le voyage des Grisons au
pays de Vaud, avec ce mort dans la berline, Blaise reprit :
— Oui, nous l’avons ramené dans ma voiture, avec le
colonel Wildenberg, qui a tenu à dire lui-même à Flora qu’il assume toute la
responsabilité du drame et combien sa famille est affligée.
Quand Axel Métaz pénétra dans la chambre mortuaire, où, quelques
mois plus tôt, Martin Chantenoz avait rendu le dernier soupir, il vit le
général Ribeyre apprêté pour sa dernière parade. Trévotte, aidé d’Aricie, que Blaise
avait envoyé quérir dès son retour à Beauregard, dans la matinée, avait fait la
toilette du mort. On lui avait passé son meilleur uniforme et épinglé sur la
poitrine sa croix de commandeur de la Légion d’honneur. Cet officier n’avait
jamais failli, au contraire d’autres généraux d’Empire qui avaient renié leur
empereur pour une prébende monarchique. Il affichait dans la mort le même
sourire dédaigneux et l’orgueilleuse dignité qu’il avait toujours opposés aux
pleutres et aux parjures.
Le colonel Gustav de Wildenberg, officier d’état-major d’origine
suisse, formé par son compatriote le général Jomini, avait servi Bonaparte, depuis
la campagne d’Égypte, et Napoléon, jusqu’à Waterloo. Appelé au service des
Affaires secrètes et des Reconnaissances par Ribeyre, il était devenu l’ami de
ce chef, à la fois autoritaire et bienveillant qui, à l’exemple de l’empereur, pardonnait
toujours une erreur, jamais une négligence. Depuis 1815, Wildenberg vivait dans
le château familial des Grisons. Axel vit, debout derrière Flora, à genoux sur
un prie-Dieu, la tête dans les mains, un grand vieillard sec et droit, en
vêtements de deuil. Devant le Vaudois, le colonel se reprocha, comme il l’avait
déjà fait devant la veuve du général, d’avoir posté son fils entre ses deux
amis.
— Il n’existe pas de plus grand malheur pour un homme
que tuer accidentellement un ami, dit-il.
Bien que son fils n’aie en rien enfreint les règles de la
battue, il ne pouvait l’innocenter tout à fait. C’était la balle d’Arnaud et
pas une autre qui avait porté la mort au compagnon d’armes qu’il vénérait et
que Blaise aimait comme un frère.
Flora, après un moment de faiblesse, fit face au malheur. Elle
eut pour Wildenberg, rencontré une seule fois, à Paris, lors du retour des
cendres de l’empereur, des mots apaisants, et quand le père, humilié, demanda
pardon au nom de son fils, elle eut assez de grandeur d’âme pour les absoudre l’un
et l’autre.
Plus tard, quand se répandit la nouvelle de la mort du
général Ribeyre, tout ce que le pays de Vaud comptait d’anciens bonapartistes
se rendit à Beauregard, pour un dernier et sincère hommage au soldat exemplaire.
Au jour des funérailles, les derniers grognards du café Papon firent le voyage
de Lausanne pour assister au service religieux et les autorités vaudoises
déléguèrent plusieurs membres du Conseil d’État et un piquet
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