Romandie
projet incongru, dont la
réalisation eût fait courir un danger permanent d’inondation à Rive-Reine. Un ingénieur
affirmait, en effet, dans son rapport : « Les maisons de la rue du
Lac, dite du Sauveur, seront compromises, du moment que le lac, poussé avec
furie par le vent sud-est contre la jetée orientale du port, entraînera au loin
les atterrissements retenus par les nombreux pilotis plantés à ce dessein au
pied des terrasses, atterrissements qui auront d’autant plus de peine à se reproduire,
qu’ils rencontreront un nouvel obstacle sur leur chemin, les jetées du port. »
On en revint aux conclusions déjà maintes fois évoquées :
le meilleur emplacement pour un port veveysan restait l’orient de la cité, à la
limite de l’entre deux villes, dans un quartier qui végétait et connaîtrait, du
fait de cette construction, une nouvelle animation. Le bassin pourrait être
conquis sur le lac, dont le fond, à cet endroit, paraissait stable, et cela
sans gêne pour les propriétaires riverains. De plus, les installations
portuaires seraient protégées par le rivage de La Tour-de-Peilz, ce qui
permettrait aux bateaux surpris par le mauvais temps de se mettre rapidement et
facilement à l’abri. Restait le coût et, surtout, le financement des travaux. Pour
cela, il faudrait faire appel « à la fortune particulière et au patriotisme
des citoyens de Vevey ».
Cette nouvelle tentative pour doter la ville d’un port
provoqua la création d’une commission d’étude, dont Axel Métaz accepta de faire
partie. Convaincu que le développement de la cité, et de ses propres affaires, passait
par la création d’un bassin, il se dit prêt à s’engager financièrement, avec d’autres
bourgeois de la ville, comme MM. Perdonnet, Couvreu et Blanc.
Ce surcroît de travail lui convenait, car il avait, depuis
un an, le sentiment de vivre d’une façon des plus routinières. L’emploi de ses
jours, comme ceux de tous les vignerons de quelque importance, était d’abord
réglé par les saisons et travaux de la vigne, mais l’exploitation des carrières
de Meillerie, le transport des pierres, obligeaient Axel à de fréquentes inspections.
Il devait, aussi, passer chaque jour au chantier des barques, où l’on
construisait, bon an mal an, une demi-douzaine de grandes barques, des cochères
et des bateaux de promenade. Trouver du fret pour ses propres cochères nécessitait
souvent des déplacements, l’établissement de contrats, une surveillance du
personnel. À cela s’ajoutait l’examen des comptes des sociétés dont il était
actionnaire, celle des bateaux à vapeur notamment. Régis Valeyres, homme sûr, intendant
dévoué et travailleur, assumait la comptabilité générale mais les relations
commerciales restaient le domaine exclusif de M. Métaz.
Ses relations avec M me Bovey, autre routine,
pensait Axel certains jours, avaient évolué, sans qu’il y prît garde, vers une
forme de délassement du corps et de l’esprit. Dans ses rapports avec Marthe, la
part de sensualité animale, après la fougue des premiers mois, s’était
amenuisée au profit d’entretiens amicaux et confiants. Intelligente et
instruite, grande liseuse, ainsi qu’elle l’avouait, Marthe amenait son étrange
amant à parler de sujets plus intellectuels et plus élevés que la taxe sur les
vins, les salaires des carriers, la qualité des bois de charpente ou la
concurrence féroce à laquelle se livraient les compagnies de bateaux à vapeur. Près
de cette belle femme, douce et tendre, discrète, douée d’humour, qui n’avait
jamais enfreint leur contrat et ne tentait pas d’obtenir plus de son amant qu’il
ne voulait donner, Axel éprouvait bien-être et sécurité. Elle lui apportait ce
dont un grand travailleur, la quarantaine révolue, responsable d’une famille et
de plusieurs entreprises, a besoin – la détente physique et le repos
mental. Plus d’une fois, Axel, fatigué, s’était endormi après l’étreinte, sur
la poitrine de sa maîtresse. Marthe goûtait ces moments d’abandon qui lui
donnaient l’illusion d’être aimée, d’être plus qu’un corps qu’on prend et qu’on
laisse, sitôt le désir assouvi.
Peu à peu, Axel en était venu à lui confier certains de ses
soucis, comme il lui avait avoué son chagrin après la mort de Chantenoz et
celle, plus récente, de Ribeyre de Béran. M me Bovey, qui participait
à la vie mondaine, intellectuelle et artistique de la
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