Romandie
plusieurs
demandes en mariage et qu’elle a éconduit tous les prétendants en disant, ce
qui m’a beaucoup touché, que mon vieux maître lui avait laissé un souvenir
tellement éblouissant que toute relation avec un autre homme lui paraîtrait
fade et désespérante.
— Belle déclaration d’amour post mortem. Cette
femme était donc une véritable amoureuse, reconnut le médecin.
Le fait qu’Aricie se retirât du monde ouvrit une nouvelle
brèche dans le cercle Fontsalte. Lors du dîner de fin d’année, Charlotte dut, encore,
ôter un siège autour de la table familiale. Flora, malgré son deuil, tint à
être présente, sachant combien Blaise devait souffrir de l’absence de Claude, son
ami depuis le collège d’Effiat, son camarade de combat, complice de toutes ses
aventures. Faire parler Fontsalte du Ribeyre de Béran qu’elle n’avait pas connu
adoucissait sa peine. À chaque rencontre, depuis la mort de son mari, ils
évoquaient, bien sûr, le disparu. C’était leur façon de maintenir vivante la
mémoire de celui que la mort avait saisi par surprise, intact et fier.
L’année 1844, commencée dans la torpeur qui succède aux chagrins,
n’apparut porteuse d’aucune espérance nouvelle à M. Métaz. Il devait
consacrer de plus en plus de temps aux affaires, Vevey, lieu d’échanges animé, recevant
un flux commercial accru depuis l’ouverture de la nouvelle route de Châtel-Saint-Denis
et les travaux entrepris pour améliorer la circulation dans le district. Comme
de nombreux hommes d’affaires et commerçants de la ville, M. Métaz, en
tant que transporteur lacustre, réclamait la création d’un port. On agitait la
question depuis plus de vingt ans, sans que municipalité, district et
négociants veveysans parviennent à un accord. Maintenant, le port devenait une
absolue nécessité économique. Vevey n’ayant point d’asile sûr à offrir aux
bateaux à vapeur, ceux-ci avaient établi une station à Villeneuve, si bien que
le transit des voyageurs et des marchandises, en provenance de Genève et des
villes riveraines, à destination du Valais et de l’Italie, échappait à Vevey. Il
arrivait même fréquemment que les vapeurs brûlent Vevey, pour éviter un
radelage supplémentaire, et s’en aillent débarquer au bout du lac touristes et
fret, ce qui obligeait les premiers à prendre une voiture pour atteindre Vevey
et les grossistes de la ville à prendre livraison, à Villeneuve, des
marchandises et produits commandés par les détaillants.
Lors d’une réunion des commerçants, industriels et bateliers
de Vevey, Axel Métaz fit observer qu’en plus des inconvénients déjà connus, la
création d’une nouvelle route, prévue entre Morges et Moudon, attirerait à
Morges le transit de Genève vers Berne en permettant aux rouliers d’éviter les
côtes de Montbenon et de Chalet-à-Gobet, que redoutaient tous les conducteurs
de chars et de diligences, même si l’ouverture du Grand-Pont de Lausanne
facilitait maintenant le franchissement du Flon. Vevey pâtirait de ce nouveau
détournement de trafic. Si la ville ne se dotait pas, rapidement, d’un port, elle
se trouverait bientôt isolée des axes du grand négoce, privée de sa situation
privilégiée de carrefour commercial, fondement de sa prospérité depuis l’Antiquité.
M. Perdonnet, bienfaiteur de la ville, qui militait
depuis longtemps pour l’établissement d’un bassin pouvant accueillir les
bateaux, adressa, au commencement du mois de mai, un nouvel appel au Conseil
communal, demandant que l’étude du port fût reprise et, cette fois, menée à son
terme.
Comme lors des précédentes discussions, les partisans d’un
port creusé dans le bas de la place du Marché, à proximité de la douane et des
sièges des grossistes, s’opposèrent à ceux qui, pour des raisons de sécurité, voyaient
le port à l’orient de la ville, au-delà de l’hôtel des Trois-Couronnes. On savait
déjà, par d’anciennes études de l’ingénieur Dufour, que le bas-fond du lac, en
bas de la place du Marché, était « mobile et glissant », ce qui
rendait aléatoire l’établissement de digues et de jetées. Il se trouva des gens,
peu attachés à la beauté du site, pour proposer que le bassin fût creusé dans
la grand-place même, ce qui détruirait le lieu considéré par tous comme un des
plus beaux décors citadins de la côte vaudoise. Axel, comme tous les
propriétaires de la rue du Lac, condamnait ce
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