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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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ils
tentaient de canaliser la surexcitation à leur profit, la même pensée vint à l’esprit
d’Axel et de Louis. Métaz fut le premier à la traduire avec une tendre ironie :
    — Si notre bon maître Chantenoz était encore avec nous,
il dirait : « Cette fois-ci, mes bons amis, la révolution radicale
est en marche. »
    — Le tout est de savoir si elle réussira ou sera
jugulée, dit le médecin.
    Le soir, à Beauregard, où ils dînèrent avec Blaise et
Charlotte, les Veveysans envisagèrent les évolutions possibles de la situation.
    — Ce sera comme en décembre 1830, le Grand Conseil
va se démettre, on vous fabriquera une autre Constitution, qui ne sera ni
meilleure ni pire que la précédente, il y aura des élections. S’il en sort une
majorité radicale, M. Druey deviendra le potentat du canton, si les
conservateurs, alliés aux libéraux modérés, l’emportent encore une fois, on
recommencera la révolution dans deux ou trois ans, dit le général.
    Comme il achevait ce pronostic, Trévotte apparut dans le
salon.
    — On allume des feux sur le Signal [180]  : c’est
pour ameuter les gens des villages. Sûr que ça va se battre autour du château, mon
général, dit l’adjudant.
    — Allons voir ça, proposa Blaise en allumant sa pipe.
    — Allez prendre un mauvais coup ! s’inquiéta
Charlotte.
    Avant de quitter la maison, le général prit la grosse canne
dont il usait en promenade et en proposa de semblables à son fils et au médecin.
L’un et l’autre acceptèrent, car l’expérience des révolutions vaudoises leur
avait enseigné que le bâton incitait au respect les galopins, toujours prêts à
profiter d’un tumulte pour s’en prendre à la bourse des bourgeois.
    La ville était toute bruissante de discussions animées. À chaque
coin de rue, place de la Riponne, à la Palud, place Saint-François, sur le
Grand-Pont, on palabrait avec véhémence. La nuit de février, fraîche et claire,
semblait grosse d’un événement violent. Le vent, qui avait frôlé les cimes
enneigées, piquait le visage mais ne décourageait pas les hommes et quelques
femmes emmitouflées de suivre en tapant la semelle les discours de citoyens
saisis par une soudaine vocation d’orateur. L’imagination souvent stimulée par
le dézaley ou l’yvorne, ils improvisaient sur les thèmes antijésuites avec une
telle volubilité que beaucoup de gens sensés s’esclaffaient. Ces rassemblements
rappelaient ceux de 1830 et les feux allumés sur le Signal indiquaient
clairement que la journée du lendemain amènerait des renforts aux manifestants,
dont certains proposaient déjà de monter au château, dans le cas où le Conseil
d’État s’y réunirait comme le bruit en courait.
    — Allons dormir, proposa Blaise, après un tour de ville.
Il ne se passera rien avant demain.
    Le 15 au matin, le Conseil d’État prit un arrêté qui,
« pour maintenir l’ordre légal », mettait de piquet toutes les
troupes du canton. Affichée et assortie d’une proclamation au peuple, cette
mesure suscita aussitôt une réaction coléreuse des citoyens, descendus depuis
la veille dans les rues. Des groupes tentèrent d’intercepter les militaires, décidés
à rejoindre leur poste. Des soldats et des officiers furent molestés. Druey et
ses amis, craignant des affrontements sanglants, tentaient de calmer leurs
partisans, mais les gens jugeaient la mobilisation militaire humiliante et on
parlait d’état de siège. Quand apparurent les villageois, appelés par les feux
du Signal, carabiniers de Lavaux, paysans armés de fourches, de haches, de bâtons,
de pieux appointés, Axel et Vuippens, tôt levés, comprirent que la journée
pourrait être chaude. Le bataillon Chapuis fermait la place de la Riponne et
celui d’Échallens défendait le château, où siégeait le Conseil d’État. Les
manifestants de la veille, devenus émeutiers prêts à en découdre, suivant les
ordres des meneurs, avaient quitté le Casino et marchaient vers la troupe, dont
Axel Métaz remarqua tout de suite l’indécision. Un instant plus tard, le
bataillon Chapuis, sommé de se joindre à la foule armée, qui montait vers le
château, obtempéra après une brève hésitation. « Nous sommes avec vous »,
criaient les militaires.
    — Si la milice abandonne le gouvernement, rien n’empêchera
les radicaux de triompher. Une fois de plus, la minorité active soumettra la
majorité par la menace. Est-ce une démarche

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